[Belkadan] Un havre dans les ombres [Artémisia Vélès]

L'endroit n'avait pas été choisi au hasard. La ville de New Hazard avait toujours été particulièrement isolée par rapport aux autres centres urbains de Belkadan. En fait, le climat même de la planète avait favorisé ces discontinuités entre les lieux de population : partout, d'immenses étendues de forêts et de vastes lacs et mers d'eau douce agissaient comme des frontières naturelles entre les communautés. Evidemment, n'importe quelle volonté politique juste moyenne aurait permis de mettre en lien ces gens et ces villes mais que ce soit sous l'administration de la République, des impériaux, des Yuuzhan Vongs ou aujourd'hui du Consortium, les belkadaniens s'étaient adaptés à ce mode de vie autarcique mais tout-à-fait fonctionnel. Les affrontements des siècles derniers entre Siths et Chiss ne les avait que peu touché puisque chaque cité était pratiquement autosuffisante et les affres qui atteignaient l'une ne modifiait en presque rien le train de vie des autres. Et si cet état de fait avait pu grandement disconvenir à un Conseil des Aristocra voulant faire le siège rapide et fulgurant de ce système sith, son aménagement territorial ne pouvait qu'apporter une pierre à l'édifice de Mitth'urama'inrokini.
Sa navette s'était posée quelques heures plus tôt dans le spatioport de New Hazard et il avait commencé à déambuler avec son flegme habituel dans les rues de la ville, adoptant l'attitude de n'importe quel touriste venu découvrir ce monde si spécial et les paysages splendides qu'il contenait. Bien sûr, sa présence était loin d'être liée à une visite de curiosité (quoi que) mais mieux valait donner le change pour le moment. Par chance, les Chiss n'étaient pas si rares sur Belkadan au vue des liens commerciaux et culturels qui s'étaient liés entre l'Ascendance et cette région durant les siècles derniers, liens temporairement affaiblis par les offensives organisées par Csilla sur les systèmes proches. Donc, personne ne remarqua la présence de l'Aristocra des Inrokini dans New Hazard. Il n'y avait guère qu'une seule personne qui savait réellement pourquoi ce Chiss se trouvait là aujourd'hui, mais son moment n'était pas encore arrivé.

New Hazard n'était pas une ville dangereuse, mal famée et où la moindre ruelle se transformait en coupe-gorge. En réalité, c'était une ville-dortoir, une zone de villégiatures. De ce fait, la ville était encore plus coupée des centres urbains plus << économiques >> de la planète : la bourgeoisie belkadanienne ne souhaitait pas être mêlée aux basses activités du peuple et se tenait donc éloignée de l'agitation des villes industrielles et commerciales. L'architecture de la cité avait d'ailleurs adopté un style particulièrement esthétique qui rappelait les grands arbres dalloralla de la planète et les immenses étendues d'eau qui parsemaient la surface de la planète. En somme, la vie avait l'air douce et agréable dans cet endroit reclus et en complète harmonie avec son environnement. Une bienheureuse félicité se découvrait même sur la plupart des visages de ses habitants et l'Aristocra avait donc lui aussi peint sur sa face les traits de la naïveté joyeuse et de l'âme repue. Son regard vagabondait d'une maison à l'autre, d'une enseigne à une autre. En revanche, ses pieds avaient eux adopté un objectif bien précis. Il se trouva rapidement devant le centre administratif de la ville. Celui-ci ne semblait même pas gardé. Il s'approcha du système de sécurité de l'entrée. Quelques secondes passèrent avant qu'un clic ne lui signale le début du processus de scanning. Enfin, la porte s'ouvrit.
A l'intérieur, un petit humain d'un âge avancé et à la chevelure dégarnie l'attendait. De toute évidence, l'anxiété était en train de le submerger.

- Vous êtes en retard, monsieur. Je ne peux plus vous offrir que quelques minutes seul. Et j'espère que le résultat en vaudra la chandelle.
- Ne vous inquiétez pas, Rasker, répondit calmement Thurama. Bientôt, vous serez le gouverneur informel de New Hazard.

L'homme acquiesça, montra furtivement une porte sur la gauche du petit couloir d'entrée et s'éloigna à pas rapides. Thurama activa l'ouverture et s'engouffra dans la pièce.
C'était ce qui ressemblait à une salle de contrôle, bien sûr à l'échelle d'une petite ville comme New Hazard. Les écrans présentaient les plan détaillés de la ville, les systèmes de sécurité ainsi que les effectifs. La ville était peu défendue, mais il y avait de grandes chances pour qu'une petite garnison de légionnaires Sith se trouvât en-dehors des murs et mobilisable en cas d'attaque. Thurama verrouilla la porte derrière lui et s'approcha des écrans de contrôle. Après une ou deux minutes de recherche, il parvint à trouver le tableau des communications. Il rentra les données qu'on lui avait fourni, activa le transfert et se saisit de son commlink.

- Directrice Vélès, la ville est à vous. Evitez au maximum les pertes civiles, pour le reste la stratégie est vôtre. Vous seriez bien aimable de commencer par la libération du centre administratif, sans quoi il ne restera bientôt plus personne pour vous payer. Et surtout : coupez les communications.

Le dernier ordre donné, il s'assit nonchalamment sur un des fauteuils qui se trouvait là et attendit.

L'Aristocra Thurama ne s'attendait pas à une longue attente parce qu'il connaissait l'efficacité des guerriers mandaloriens. Les chances étaient infimes voire quasi nulles que les maigres forces de défense de la ville parviennent à contenir plus de quelques minutes la troupe d'assaut engagée par le Chiss. Toutefois, fidèle à l'esprit d'efficacité qui animait son peuple mais aussi sa profession, il se décida à mettre à profit les quelques minutes que lui laissait l'opération militaire en cours en-dehors des murs du centre de contrôle. Il se plongea alors dans les données affichées par les différents écrans de la pièce. En réalité, ce qui l'intéressait n'était pas du tout de nature tactique et si un garde de la sécurité l'avait trouvé là, il se serait demandé pourquoi ce piètre espion ne s'empressait pas de recueillir des informations de nature à pouvoir transformer le cours du combat. La réponse à cette interrogation était fort simple : Mitth'urama'inrokini n'était pas un espion et encore moins un militaire.
Il était l"un des quatre personnages les plus importants de l'Ascendance Chiss doublé d'un scientifique de grand renom. Sa présence sur cette planète et dans ce contexte était au minimum absurde et si elle s'ébruitait au-delà des deux têtes pensantes de l'opération, il ne faisait aucun doute que le Chiss perdrait définitivement et irrémédiablement sa place au sein du Conseil des Aristocras. Mais il n'avait pas eu le choix : il avait besoin de voir de ses propres yeux ce qu'il avait déduit d'une observation par trop lointaine. Quelque chose sur cette planète attendait d'être révélé et cette révélation avait besoin d'un instrument vivant pour apparaître. Restait à savoir si l'habileté et l'intelligence de cet instrument parviendraient à garder cette révélation pour lui-seul sous peine de transformer cette petite planète en objet de convoitise.
Les chiffres défilaient sous les yeux de Thurama. Au bout de quelques minutes, il fit apparaître une carte de la zone entourant la ville. Quelque part au sud-ouest, on pouvait remarquer que la forêt s'ouvrait sur une clairière parfaitement circulaire et au centre de cette clairière, une tâche bleue signalait la présence d'un petit lac ou d'un marais. La légende de la carte attachée à ce lieu étrange portait la mention suivante : << Fontaine de Force - forte activité métempirique ? >> Thurama leva un sourcil et esquissa un sourire devant cette phrase vide de sens.

Au moment où il quitta les écrans des yeux, la porte de la pièce s'ouvrit et une inconnue fit irruption dans la pièce. La silhouette était clairement féminine malgré l'armure que portait l"intruse et sa taille proprement impressionnante. Thurama n'était pas particulièrement petit au milieu de son peuple mais face à cette force de la nature, il était un nain. Il avait eu vent de la forme physique des mandaloriens mais pas au point d'être préparé à la rencontre de celle qui devait être Artemisia Vélès.
En revanche, la petite pique qu'elle lui lança le surpris bien moins que son physique massif. N'importe quel Chiss se serait senti insulté d'être assimilé à un << impérial >>, mais Thurama ne releva pas l'erreur et se contenta d'arborer un grand sourire.

- Nous ne sommes pas tous faits pour le combat, mandalorienne. Quant à moi, je préfère vous regarder remplir admirablement un rôle que j'aurais occupé de manière calamiteuse.

Thurama appréciait la discussion mais sa tâche n'était pas encore remplie. Il saisit un holorécepteur qui se trouvait dans un coin de la pièce et transféra la carte sur le petit appareil. D'un signe de tête, il fit comprendre à la guerrière que cette étape du plan était terminée. En sortant, de la pièce, il se tourna vers elle.

- Vous devez tout faire pour faire passer cette attaque comme un simple raid, commença-t-il. Le nouveau gouverneur de la ville se chargera d'assurer la continuité virtuelle du pouvoir du Consortium. Surtout, qu'aucune communication ne puisse s'échapper d'ici, sans quoi c'est vous qui subirez les conséquences du courroux de la Reine Éternelle.

Ce duo atypique finit par sortir du bâtiment. Dans les rues de la ville, le combat faisait encore rage. Au vue de la résistance des gardes de New Hazard, la petite garnison de légionnaires Sith avait dû se joindre à eux afin de mettre en échec l'offensive des mandaloriens. Thurama se mit à se diriger vers la porte ouest de la cité tout en vérifiant qu'Artemisia et ses hommes le suivait bien. Sans eux, il serait au mieux incarcéré par le premier milicien venu, au pire abattu sur le champ.
Soudain, une ombre passa au-dessus de lui. La silhouette inquiétante d'une navette de classe Omega passa au-dessus d'eux avant d'entamer sa descente vers la rue principale dans laquelle se trouvaient Thurama et Artemisia. La peur tétanisa le Chiss à la vue de cet appareil dont tous savaient que sa présence n'était jamais bon signe sur un champ de bataille. Il recula de quelques pas afin de se placer derrière sa protectrice et lui tendit d'un mouvement tremblant le holorécepteur contenant la carte et la destination mystérieuse.

- Je saurais me repérer. Retrouvez-moi à ces coordonnées. Et faites en sorte que ce soit bien vous qui me retrouve.

Sur ces mots, il continua à pas pressés sa route vers la porte ouest tandis que la navette se posait devant Artemisia et que l'ouverture grinçante de l'écoutille signalait l'arrivée d'un danger digne d'une Mando.

Les pas de l'Aristocra craquaient sur les brindilles et les feuilles mortes qui jonchaient le bois. La saison avait été sèche ici et la végétation en avait pâtit. Cela faisait déjà plusieurs dizaines d'années que les scientifiques belkadaniens alertaient le gouvernement devant les transformations irrémédiables qui se faisaient ressentir sur ce monde luxuriant et plein de vie. Mais après tout, la galaxie connaissait maintenant des mondes recouverts entièrement de villes pharaoniques ou des planètes xériques, asséchées par les industries qui fournissaient les visées guerrières des uns ou simplement le besoin de développement des autres. Que Belkadan rejoigne les uns ou les autres, peu importait aux pontes du Consortium et de ceux qui les avaient précédés. Le sort des populations victimes de la guerre leur était déjà indifférent, alors il y avait peu de chances que le sort de ceux qui allaient perdre leur mode de vie par les simples transformations de l'écosystème les touche davantage. Ce peuple était en sursis.
Il ne savait trop pourquoi, mais cette idée tournait et retournait dans la tête du Chiss. Les belkadaniens n'avaient clairement pas le niveau de développement de l'Ascendance Chiss et formaient un peuple largement inférieur sur tous les domaines. Et pourtant, il ressentait au plus profond de lui-même une détresse diffuse à l'idée de voir ces forêts disparaître, ces lacs s'assécher, ces millions de personnes quitter leurs foyers devant la disparition d'un monde. Quel était le sens de la grandeur d'une nation si ce n'était celui de tendre la main à ceux qui en avaient le besoin ? De leur offrir une protection, de l'aide ? Depuis le premier Chiss sur Csilla, depuis que ce peuple s'était réuni pour former société, la redistribution et la solidarité avait été un des fondements de l'Ascendance. Il n'y avait aucune raison que cette solidarité ne s'étende pas à tous les peuples de la galaxie, même si leurs coutumes et leurs modes de vie ne seraient jamais équivalents à la grandeur Chiss. Heureusement, les vues de Thurama se répandaient de plus en plus au sein-même de son clan mais aussi par-delà les frontières de Csaus, sur les autres colonies de l'Ascendance. L'Empire et son expansionnisme guerrier n'avait que trop longtemps pesé sur les esprits et influencé la politique extérieure de son allié. Il fallait penser un expansionnisme militant, social, tourné vers l'élévation des peuples et la coopération.

Le capteur de Thurama finit par émettre un petit bruit prévenant de la présence proche du point recherché. Et en effet, le Chiss déboucha rapidement sur une vaste clairière. Un grand lac s'étendait là, protégé par le mur de conifères qui s'élevaient à plusieurs dizaines de mètres de hauteur. Mais cette étendue d'eau avait quelque chose d'étrange : elle semblait frémir, comme l'eau que l'on fait reposer sur le feu. Thurama s'approcha à pas lents, ne souhaitant prendre aucun risque. Loin derrière lui, les bruits des combats commençaient à s'atténuer. Arrivé à quelques centimètres de la surface aqueuse, il approcha sa main. Une douce chaleur s'élevait du lac et des milliers de petites bulles remontaient des profondeurs et éclataient doucement au contact de l'air. Thurama se recula quelque peu et tira de sa ceinture un petit objet ressemblant à un holocom. Seule différence, l'appareil ne portait aucune sortie audio mais des voyants disposés de manière à indiquer une intensité. Lorsque le Chiss l'activa, les voyants se mirent à s'allumer et atteignirent en un instant le niveau maximal.

<< Incroyable. >>

Il était souvent avare de ses compliments mais cette fois-ci, la remarque n'avait pu lui échapper. Dans son esprit commençait à s'ouvrir des horizons incroyables. Il voyait des choses grandioses, un futur inimaginable pour les peuples de l'Ascendance et de la galaxie toute entière. Il avait découvert quelque chose qui pourrait durablement changer l'avenir des Chiss. Le chemin était déjà semé d'obstacles et de difficultés mais au moins il était tracé. Il le voyait devant lui qui se poursuivait par delà même l'horizon. C'était son chemin et celui de tout son peuple.
Soudain, un grondement sourd semblant venir des profondeurs du lac se fit entendre dans la clairière. La terre commença à trembler. Quelque chose se préparait à émerger des eaux noires. Pris de panique, le Chiss se précipita vers l'orée de la clairière afin de se mettre à l'abri dans la canopée mais un souffle puissant le projeta violemment à terre. Lorsqu'il se retourna, il vit une immense colonne d'eau qui s'élevait vers le ciel. Au bout de quelques secondes, elle retomba vers le sol en inondant les environs du lac. Thurama partit dans un grand rire de joie et d'émotion. Cette planète était peut-être unique dans la galaxie et ce potentiel ne serait connue que de l'Ascendance. L'Ascendance et peut-être une personne de trop...

Thurama entendit un craquement dans son dos. << Vous arrivez au bon moment, Mando. >> Mais une impression étrange lui dit que ce n'était pas la personne qu'il attendait qui se tenait derrière lui. Il se retourna. La silhouette portait une tenue traditionnelle de Belkadan aux tons noirs et rouges. Une capuche dissimulait le visage de l'intrus, mais la luminescence écarlate de son arme ne laissait que peu de doutes.
Tout d'un coup, sortis des bois, deux guerriers mandos se jetèrent sur le Sith. Un combat s'engagea mais les guerriers en armure ne semblaient pas de taille face à cet ennemi. Ils furent neutralisés en peu de temps. Alors que le Chiss voyait peu à peu ses grands projets s'effondrer et sa vie se terminer ici, le feu d'un jetpack annonça l'arrivée d'un autre mandalorien. C'était Artémisia Vélès. Celle-ci s'interposa entre le Sith et le Chiss et conseilla vivement à son allié d'une journée de s'écarter, ce que celui-ci fit sans rechigner. Le combat allait être violent et Thurama préférait être spectateur que participant.