Madame est servie [ Zarseen Raynar ] [Terminé]

Suite de [Sur un malentendu]

Ce matin, Carpe avait découvert la panification et pourquoi il fallait se lever plus tôt que pour de la planification. Au début, elle avait regretté que cela ne soit pas une typo dans sa fiche. Mais au final, elle était plutôt contente. Elle s'était enivrée des douces odeurs légèrement acidulées de la levure, puis de celles caramélisés d'une croûte en cours de cuisson. Bon, elle avait moyennement apprécié la première texture de la pâte. Les propriétés viscoélastiques obtenues en mélangeant l'eau à la farine lui rappelait un peu trop la bave d'Amani ou d'un pilote en manque d'activités, ou encore le sang de non humain à moitié coagulé. Mais après le frasage, quand l'amalgame prenait plus de consistance, quand celle-ci ne collait plus au doigts et qu'elle avait enfin la fermeté et la tendresse d'un lobe d'oreille humaine, c'était plus agréable. Et voir la pâte doublé de volume, était quelque chose qui l'avait fasciné.

Bref, la demoiselle avait découvert ce que voulait dire mettre la main à la pâte.

Cela faisait un peu plus d'un mois, que la demoiselle avait commencé ses formations, certaines avaient été du renforcement des connaissances et d'autres, comme ce matin, une véritable découverte. Mais aujourd'hui et plus particulièrement ce soir, elle sera évaluée. Et pas que par ses formateurs : par des professionnels d'un hôtel grand luxe et… par la non moins prestigieuse Triumvir Zarseen Raynar.

Elle avait eu son thème un jour avant : l'accueil d'une délégation de trandoshans. Elle sera donc évalué par la composition et la réalisation en cuisine du menu et la carte choisie, la maitrise de la disposition de la table, du nappage et de ses ornements floraux, le service aussi bien des plats, des boissons et de l'écoute des besoins du client. Le tout dans un budget qui lui était alloué.

Tout était prêt.
Dans sa tenue stricte mais néanmoins élégante, prêtée par l'hôtel, Carpe attendait à côté de l'accueil son auguste invitée.

Il lui avait semblé que l'équipe de l'hôtel l'avait déjà oublié, les quelques clients passaient à côté d'elle sans la voir. Mais seulement Carpe, sous son masque imperturbable, était très agitée. Elle était terriblement stressée car elle ne connaissait pas les goûts de son hôte. Elle voulait pour le moment non pas lui plaire, mais lui donnait une meilleure impression. Et surtout, surtout, Carpe souhaitait réussir. C'était idiot, mais elle avait aimé apprendre, bon pas tout (l'improvisation théâtrale, même après un mois, restait quelque chose de très difficile) et elle voulait continuer d'apprendre, elle n'avait pas encore fait un cinquième de la liste ! Alors ce soir, l'enjeux était grand.

Voilà quoi… Un mois que Carpe est débarquée illégalement ici? Ça me fait encore rire, sérieusement. L’APEX est une faction remplie de criminels… Et de toutes ces personnes qui sont arrivées avec les bonnes autorisations, elle est la seule à être arrivée sans. Ce qui ne fait pas forcément d’elle une pire criminelle que les autres, bien entendu. Mais faire un crime chez les criminels… En quelque part il faut avoir une certaine volonté, ne nous mentons pas. Ceci étant dit, c’est le développement de son potentiel qui m’intéresse, évidemment. Car je continue de penser qu’elle pourra éventuellement servir davantage mes intérêts et moi lui fournir soit le défi qu’il lui faut ou la pousser dans la bonne direction. À mon avis, Carpe est un investissement. Pas une dépense. Et tous les investissements ne sont pas à court terme seulement. Parfois, il faut se projeter… Bien…

Dans le futur. Ce soir, je vais tester ses talents côté service dans un hôtel qui est dans la liste des endroits favoris de la planète. Ce n’est pas le plus grand ou le plus luxueux mais je me dis que c’est un bon environnement pour Carpe. Pour clarifier, j’ai suggéré le lieu mais le menu, le thème, tout ça… Je n’ai rien à voir là-dedans. Ce sera une surprise pour moi. Loktar ne m’accompagne pas. Il a bien sûr fait sa crise de diva quand il a su que j’allais manger quelque part sans lui mais je ne veux pas rajouter une distraction inutile à Carpe. Il a bien assez à manger… Et il a de toute façon déjà assez mangé comme ça! Il faut que je le surveille, ce goinfre! Bref, je disais que je me rends à l’hôtel. Comme pour tous mes déplacements, ne sachant pas piloter, on m’amène sur place avec une solide escorte. Les chances que je sois attaquée sont minces mais personne ne veut prendre de chances.

Une fois sur place, le propriétaire vient m’accueillir et nous discutons un peu. La personne en charge de la formation et de l’évaluation de Carpe vient également me voir, il faut que je sache sur quoi elle sera évaluée et si cela concorde avec les critères que moi je veux voir évalués. Cette formalité réglée, on m’amène ensuite à ma table. Pour ce soir, l’accueil ne sera pas une des responsabilités qui incombe à Carpe. La pauvre doit être terriblement stressée. L’Apex prend en charge le formation et l’éducation de ses membres selon certains critères, certains barèmes mais vous avez un échec et on cesse de payer. Votre formation prend fin. Vous allez vous réinscrire et payer de votre poche. On me dira : ce n’est pas un peu sévère, un échec et pouf, c’est fini? Ce serait sévère s’il n’y avait pas eu des abus par le passé. Ça et l’APEX est une méritocratie. Oui, je sais, ce que les autres factions disent.

Mais qu’importe. Nous ne sommes pas là pour parler de politique galactique ou de la perception de l’APEX en dehors de nos frontières. Me voilà assise à ma table. La suite est entre les mains de Carpe. Le maitre d’hôtel informe la jeune femme que c’est à elle d’entrer en action et qu’elle a intérêt à ne performer. Oui bon, il y en aura toujours qui vont plus être du genre a vous pousser constamment qu’à vous encourager mais c’est ainsi. Si la formation se donne, que les résultats sont là… Et bien entendu, il n’y a pas eu d’abus physiques dans le lot… Voilà. Enfin bref. Je regarde Carpe dans son uniforme fourni par l’hôtel. Je suis curieuse de voir comment elle va s’en sortir. Comment elle a progressé depuis qu’elle est arrivée blessée et en piteux état devant moi. Je lui fais un petit signe de la tête, mix entre politesse et comme quoi je la reconnais. La suite est entre ses mains…

"Non de non.. Elle est où ?"

L'assistant du maitre d'hôtel passa dans le hall, remuant les hôtes et hôtesses d'accueil. "Il y a un soucis ?" le ficus fit sursauté le personnel sur place, révélant une Carpe où la curiosité n'était qu'un éclat furtif au fond de ses yeux. L'homme fit alors volte face. "Mademoiselle, vous êtes là ! On vous cherche, vous êtes attendu à l'autre entrée. Votre Invité est entrée par la seconde porte VIP. Prenez le second…"

L'assistant n'eut pas besoin de finir sa phrase que la demoiselle était partie d'un pas rapide, trottant presque mais ne courant pas pour autant. Elle arriva à temps pour accueillir son auguste hôte en s'inclinant respectueusement. Alors, en guise de top départ, une inclinaison de la tête. Carpe se plaça donc derrière la chaise et accompagna le mouvement quand la Boss s'assit.

- Aujourd'hui je vous propose un buffet sur le thème de Trandosha. Il y aura des spécialités locales, et des plats typiques de Nar Shaddaa revisitées pour convenir aux goûts de diplomatiques trandoshans. Vous trouverez sur votre droite des couverts plus classiques au besoin. Je vous prie de passer un agréable moment.

La demoiselle s'inclina respectueusement avant de s'en aller prestement. Déjà les trois professeurs prenaient des notes.

" Il y avait des tables comme ça ici ?"

La table en question était, il fallait se l'avouer assez particulière car elle n'avait pas un plateau mais trois. Le plus petit était le plus en hauteur. Une composition florale l'ornait. Le second était pivotant, comme une roulette de casino ou un plateau à fromage. Et enfin le troisième, le plus proche des convives, avait les couverts : assiette, sous assiette, verre à eau, verre à vin blanc, verre à vin rouge, verre à liqueur, verre à acide (en acier renforcé), rince doigts, porte pain et enfin couverts adaptés aux mains des trandoshans. Le tout était posé avec une précision millimétrée. Par contre, il n'y avait pas de nappe, le tout était posé sur un set de table dont la forme rappeler celle d'une large feuille. Une petit coffret contenait des couverts plus usuel sur la droite de la seule convive. La table n'avait pas était prévue pour une seule personne, mais cela n'avait pas arrêté la demoiselle.

"Elle a épluché les inventaires et le sous sol pour la retrouver."
- Ha oui…
- Tss… par contre, j'ai beau y faire, mais, c'est pas un bouquet ça…"

En effet, ce qui trônait au milieu de la table n'en était pas un. Dans une vasque large, dont la couleur sombre évoquée celle du second plateau, une branche était plantée dans l'eau. S'élançant vers le haut, elle propageait ses ramifications vrillées. Il y avait ça et là des bourgeons tout duveteux, encore engourdis. Au pieds de la branche, il y avait trois fleurs : deux était endémiques de Trandosha et l'autre de Nar Shaddaa. Celle-ci avait encore sa feuille qui, avec l'élégance d'une jeune fille romantique caressait la surface de l'eau. Certes, trois fleurs ne font pas un bouquet, pourtant, avec les reflets dans l'eau, les fleurs étaient nombreuses, mais pour cela, il fallait être assis à la table. Et si on plissait les yeux, il y avait peut être une feuille qui flottait presque au fond comme le ferait un poisson.

La porte de la pièce s'ouvrit à nouveau pour révéler l'étudiante avec un chariot couvert de nourritures. Un par un, en les nommant pour son hôte, elle posa les plats sur la partie tournante. Il y avait des plats chauds et des plats froids, des plats à base de chair animale et d'autre à chair végétale, des plats sucrés, salés. Bref variés et présentés avec attention. Quand elle eut fini de servir son hôte, elle alla servir l'échantillonnage à ses professeurs.

- Tss…

Le tremblement des mains de la demoiselle se fit plus visible. Carpe se replaça rapidement derrière la chaise de la Triumvir.

"Je vous souhaite un bon appétit, et me tiens à votre disposition. " Carpe l'espérait avec ardeur tandis que sa professeur avait levé les yeux au ciel car elle-ci avait oublié de proposer la boisson.

La présentation est intéressante, originale et le choix des plats fort à propos car effectivement, je vais bientôt recevoir une délégation de trandoshans. Oui, entre notre première rencontre et maintenant, j’ai eu ma réunion avec l’émissaire que je devais voir quand Carpe s’est retrouvée amenée devant moi. Des négociations que j’ai fait tourner à mon avantage, ça vous pouvez y compter. Donc… On va goûter à tout ça, voir de quoi il retourne et voir ce qui pourra être servi lors de cette fameuse réception. Moi je dis qu’elle gagne des points pour sa prescience en la matière. Ce n’est pas nécessairement impressionnant, ça demande juste une bonne mémoire ou suivre l’actualité apexienne mais j’en prends note quand même. C’est une question de principe et de noter justement. Et oui, j’y tiens. Carpe n’aura aucun favoritisme mais elle aura une évaluation honnête.

Je commence donc à goûter les plats. Ceux que je connais pour commencer, ce sera plus facile de se faire une idée et de donner un verdict. Donc les plats à base de viande, les plats qui sont salés. Je dois dire qu’elle a parfaitement su reproduire le type de saveurs qu’on retrouverait si c’était un chef trandoshan qui avait préparé le tout. Bien, très bien. Excellent même. Elle a du talent! Si ça continue comme ça, elle aura une très bonne note. Et à peine cette pensée passa-t-elle par ma tête que j’aurais dû entrevoir la catastrophe, le désastre qui devrait inévitablement suivre car j’ai attiré sur moi la malchance. Je décide de goûter un des plats sucrés. Colossale erreur de ma part. Si cela n’avait pas été assez sucré, je ne dis pas. On rajoute du sucre. Mais ce que j’ai dans la bouche est trop sucré. Beaucoup. Trop. Sucré. J’ai l’impression qu’un sucrier vient de me donner un coup dans le plexus solaire.

Je me fige, la fourchette dans la bouche et le changement de ton de vert sur mon visage indique qu’il y a un problème. Je me force à avaler car c’est mauvaise manière que de recracher et on peut clairement voir que quand je dis que je me force, ce n’est pas dit à la légère. Mon corps veut que je recrache cette « abomination » mais ma volonté dit non. Donc j’avale de façon audible avant de vider un verre d’eau en une gorgée et de m’éponger avec style le front des quelques gouttes de sueur qui ont perlé. Les professeurs de Carpe semblent horrifiés. Une telle réaction de la part d’un membre du Triumvirat… Cela pourrait vouloir dire de terribles conséquences pour toutes les parties impliquées (qui ne sont pas le membre du Triumvirat en question). Je repose mes couverts avant de donner mon verdict. Soyons constructifs et donnons une chance à Carpe, elle a essayé, au moins…

« Carpe, soit honnête avec moi… Est-ce que tu as testé ou fait tester ce que tu as cuisiné avant de me le servir? C’était. Beaucoup. Trop. Sucré. Manger devrait être une expérience plaisante. Devoir se battre avec son corps pour avaler sa bouchée? Pas plaisant du tout. Après, ne le prend pas comme un échec mais comme une critique constructive. Il y a toujours de la place pour l’amélioration. Alors conséquemment…

Est-ce que je devrais éviter le reste des plats sucrés ou c’est le seul dont le dosage risque d’être à risque? Tes plats de viandes, ceux qui sont salés? Génial. Numéro un. Extrêmement satisfaite. La présentation? Originale, j’adore. Mais ce truc sucré? Je ne dirais pas qu’il a ruiné l’expérience, je n’ai pas encore tout essayé mais disons simplement que j’espère que tu as quelque chose de solide pour ramener l’expérience dans l’agréable… »

Carpe attendait. Le silence s'installa. Il y avait bien le bruit des couverts sur la céramique des plats et la professeur Sanseviera qui ponctuait régulièrement ses réflexions de ses "Tss". Parmi les étudiants, elle était surnommée Langue de belle mère mais Carpe, ne connaissant pas l'accessoire facétieux, ne comprenait pas l'analogie avec cette professeur très prolixe et une plante en pot. Cependant, elle n'avait pas osé demander en préférant se concentrer sur ses études.

- Carpe

La voix de la triumvir fit frémir la demoiselle qui se plaça immédiatement à côté de la table. Elle écouta attentivement les remarques de la gouverneur.

"Concernant la première question, oui j'ai effectué tous mes plats hier afin de vérifier les temps de cuisson, les mouvements et les pistes d'amélioration. Je les ai goûté. Ne pouvant influencer mes professeurs et ne souhaitant déranger le personnel de l'hôtel, ni mes camarades, je ne leur ai pas fait gouter. Ne connaissant pas le goût que devrait avoir la plus part de ces plats, je ne saurais vous dire, pour vous répondre à la troisième question, si c'était le seul plat à risque ou non."

Un professeur allait prendre la parole mais laissa l'élève poursuivre.

"Pour répondre à votre deuxième question, il y a des circonstances qui font qu'il faut aller à l'encontre de son corps pour manger, mais qu'ici ce ne devrait pas être le cas. Je m'en excuse pour l'expérience. Je crois qu'il existe des crachoirs prévus à cet effet. Voulez vous que j'aille en chercher ?

Je ne saurait répondre à la quatrième question, quant à la cinquième, ce truc est sensé être une salade de fruits agrémenté d'un coulis de... "

La porte de la salle privée s'ouvrit violement. Carpe fit volte face en récupérant le premier couvert à sa portée. L'intru, un cuisinier de la brigade de l'hôtel, blême devant la menace d'une cuillère crantée, bêla.

"Le sucre ! Le sucre ! Il n'y a pas que du sucre dans le sucre ! "

Bon, au moins, elle est capable de fournir une explication cohérente. Parce que s’il avait fallut qu’elle devienne un paquet de nerfs en train de pleurer… Autant vous dire que je ne suis certainement pas douée avec ce genre de personnes. Ou qu’elle blêmisse et tourne de l’œil. Vraiment, ce n’est pas pour être méchante mais la délicatesse ne fait pas trop partie de mon set de talents et d’aptitudes donc je n’ai pas trop tendance à apprécier ceux qui font montre de faiblesse devant moi. Ceci dit, et sans surprise, Carpe garde le contrôle de ses nerfs et fournit une réponse cohérente. Après, comme dit : critique constructive. En comprenant le processus, on peut mieux comprendre d’où vient l’erreur, c’est une question de logique. Et puis bon, comprendre évite aussi les malencontreux malentendus, raison de plus pour faire un effort.

Quand un de ses professeurs vient pour prendre la parole, je l’en dissuade d’un regard mauvais. Que Carpe finisse de s’expliquer. J’ai dit non pour le crachoir, si vous vous demandez, ça m’a même fait rire. C’est avec Carpe que je discute, pas avec ses professeurs, de toute façon. C’est une conversation entre elle et moi. Qu’elles soient jalouses si ça leur chante, qu’est-ce que j’en ai à faire? La réponse est simple : absolument rien. Même que je dirais que je trouve l’attitude de Carpe… Rafraichissante. Elle a une façon de présenter les choses qui n’est pas très commune dans l’APEX. Et je trouve ça intéressant. J’aime quand les choses sortent de l’ordinaire. Oui, je sais, c’est assez évident. Isïana. Larelia. Star Lady. Elles sortent toutes de l’ordinaire. Certaines plus que d’autres, même. Mais c’est une discussion pour une autre fois car il se passe quelque chose de très intéressant…

Depuis le début, je reste convaincue qu’il y a plus à Carpe. Le fait qu’elle réagisse par réflexe au quart de tour et s’empare d’une arme improvisée pour faire face à l’intrus trahit une mentalité qui va plus à une combattante ou une assassine qu’à une simple domestique. Et c’est clairement un choix délibéré. Elle a ramassé le premier couvert à sa portée. Elle aurait pu lever les poings, tenter de se mettre à couvert ou à l’abri… Mais non. Je note. Mentalement. Mais je note quand même. Oh que je note, ça vous pouvez y compter. Et Venom a tout enregistré. Si jamais elle veut feindre l’innocence… J’aurai des preuves tangibles. Quelque chose d’irréfutable. On me dira : oui mais l’instinct. Non. Le réflexe par défaut d’un être vivant est de préserver sa survie. Donc la fuite. C’est ancré dans pratiquement tous les êtres vivants. Se battre? C’est un conditionnement. Le… Bien…

Soi-disant courage. Mais bon. Nous ne sommes pas ici pour parler des mécaniques de l’existence organique. Mon regarde se fixe sur le cuistot et je demande d’un ton dangereusement calme ce qu’il veut dire par « il n'y a pas que du sucre dans le sucre ». Parce que si quelqu’un a délibérément tenté de saboter la performance de Carpe, je puis vous assurer que quelqu’un va passer un TRÈS mauvais quart d’heure. Mon regard va du cuisinier aux professeurs, demandant, non, exigeant une explication. Et j’avoue qu’il y a une pointe de curiosité, quand même. Qu’est-ce qu’il y a d’autre dans le sucre, alors? J’ose espérer que ce n’est pas dangereux pour ma santé. Pas par peur, oh non. Juste que Loktar risque de… Comment dire… Renouer avec sa nature sauvage et faire la peau à mon meurtrier. Sauf que je n’ai pas l’impression que ma vie est en danger, en fait…

Dire que Carpe resta muette est d'une platitude évidente, pourtant l'annonce du commit la laissa coi. Tout comme la Triumvir était restée de marbre. Quand aux professeurs… ils complétaient la gamme des synonymes : le premier fut sidéré, le second abasourdi et la dernière bouche bée.

Pas un geste. Pas un mot. Un silence, lourd, de plomb.

Une poignée de seconde, si brève et si longues, pour qu'un garde apparut à l'encadrement de la porte. Le bruit de ses rouages pourtant bien huilés emplirent la salle comme les instruments à vent qui annonçaient, fanfaronnaient le début d'un opéra. Le déclic opéra. Les gestes suspendus reprirent leurs activités. La petite cuillère s'abaissa pour se poser, comme si de rien n'était, sur le plateau du chariot. Mais la menace de l'étudiante resta identique, c'était juste le regard qui s'était fait assassin.

Et une question. Une seule, de la part de la Représentante. Carpe le remarqua.

"C'est juste que dans le sucre, il… il y a du… du… Téotame !"
Le pauvre messager tremblait comme une feuille se tordant les mains.

La jeune femme chercha dans sa mémoire si cette substance faisait partie des ventes ill… rentable et recommandable au plus offrant de maitre Kouam, mais en vain. Elle se retourna et fit un pas en arrière pour laisser le cuisinier face à la géante mandallienne. Elle allait posé une question quand un de ses professeurs la dissuada. Son regard était inquiet et pour une fois, il n'était pas posé sur ses pieds ou ses mains mais vraiment sur Zarseen.

"Néo, pas téo. Ce serait du Néotame. " Il se racla la gorge à nouveau. "Madame, voyait cette substance comme… un super sucre. Nous n'avons jamais commandé cela et nous n'en utilisons pas à l'institut. Je suis…"

"C'est scandaleux ! C'est du sabotage !" renchérît le second professeur qui à la remarque de son collègue s'était rendu compte que la réputation de l'école, voir même plus, pouvait être engagé. Alors s'il fallait que cela soit quelqu'un d'autre qui en paye les pots cassés… et tant pis pour l'hôtel.

"Tsss, quelle incompétente…" murmura sans vraiment se cacher la dernière pédagogue.

La concernée baissa la tête et se contenta de débarrasser la table des plats qui contenaient ce super sucre.

Le bruit d’un poing qu’on abat sur une table se fit entendre. Spécifiquement, mon poing sur la table et la pauvre en pris pour son grade. Désolé petite table, ce n’est pas contre toi, c’est juste que si je ne mets pas de l’ordre dans ce bordel, on n’y verra jamais plus clair. Disons que quand la grande patronne de l’APEX manque de briser une table en deux en donnant un avertissement… Cela a tendance à faire hésiter même les récalcitrants. Tous les regards sont tournés vers moi et les droïdes de combat présents dans la pièce, chargés de monter la garde, sont prêts à ouvrir le feu sous mon ordre. Ordre qui ne viendra pas, évidemment mais quand même. Personne ne veut faire le malin devant une machine de guerre. Je déteste les drames inutiles et ce genre d’attitude à la con pour tenter de se donner une forme de crédibilité que clairement ils n’ont pas.

« Bon. Maintenant que j’ai votre attention… On va mettre les choses au clair. Est-ce que vous m’avez entendu crier au meurtre ou au scandale? Non. J’ai fait un commentaire constructif à Carpe ici présent. Tout ce qui n’est pas un plat sucré était très bon. Vous avez manqué cette partie du discours ou c’est un oubli volontaire? Alors ça c’est le point un car il faut bien commencer quelque part, non? Point deux, maintenant…

D’accord, Carpe a tenté quelque chose. Elle a rajouté du… Venom, du quoi déjà? Merci. Du néotame qui est de 40 à 60 fois plus sucré que l’aspartame et… On s’en fout, en fait. Elle a essayé quelque chose de nouveau et de différent, à vous entendre parler. Tant mieux. Elle a échoué. Tant pis. Cela fait partie de l’apprentissage. Maintenant Carpe comprend l’importance de faire goûter ce qu’elle prépare AVANT de le servir aux invités. Non?

Car j’aimerais clarifier un point. Carpe, que je sache, est en FORMATION, n’est-ce pas? Et vous savez l’emphase que je mets sur l’innovation. Le Triumvirat est fier d’encourager l’évolution. Carpe a tenté quelque chose de différent et ses intentions n’étaient pas de me causer de l’inconfort. Vous devriez souligner son effort et son ingéniosité au lieu de vous conduire en hypocrites. Oh c’est TELLEMENT facile de rejeter le blâme sur les autres.

Je pose la question : comment se fait-il que la cuisine n’ait pas été inspectée par l’un de vous, chers formateurs? Comment se fait-il qu’aucun d’entre vous n’a goûté les plats? C’est votre BOULOT d’encadrer les élèves et de les guider, ce qui justifie une vaste part de votre SALAIRE. Est-ce que je dois demander à Venom de se pencher davantage sur cette situation irrégulière? Parce que si elle se penche sur votre cas, ça va faire mal. »

Je souris ensuite à Carpe avant de lui dire qu’elle s’en va en cuisine me préparer un dessert si elle juge que ce qu’elle a déjà préparé pourrait me déplaire. Une seconde chance, si vous préférez. Et d’un ton qui n’admettra AUCUNE contestation, j’informe ses professeurs qu’ils ont intérêt à livrer une meilleure prestation cette fois ou ils risquent de contempler un futur avec du chômage très prochainement. Je continue de dire que Carpe a du potentiel. Je continue de croire en son évolution. Elle peut rattraper le coup, la soirée. Son adaptabilité sera testée et sa faculté de travailler efficacement sous pression. Je ne la juge pas. Vous pensez que plus jeune, je n’en ai pas fait des erreurs? AH! Je vous assure que si. J’en ai fait pas mal, c’est comme ça qu’on apprend. Et je vais donner sa chance à Carpe d’apprendre et grandir à travers ses erreurs. C’est la moindre des choses…

Durant le discours de l'honorable Triumvir, Carpe regarda s'il y avait une tâche sur le cuir plastifié des chaussures d'emprunt. En tout cas, c'était bien la première fois qu'elle entendait autant de compliments et surtout envers sa personne. C'était la première fois qu'un maître exprimait aussi ouvertement sa confiance en elle. La période était tellement propice aux premières fois !

Alors quand la demoiselle partie avec tous les plats trop sucrés et le brigadier, elle se sentait si légère malgré la chape de plomb qui s'était glissée sur ses épaules. Arrivés la porte de la cuisine, le cuisinier la prit par le bras.

"C'est vrai ce qu'elle a dit ? Tu as vraiment essayé d'innover remplaçant du sucre par ça ?
- Non.
- Avant de cuisiner, as-tu vérifié tes ingrédients ?
- Pas entre le moment où je les ai apporté et celui où j'ai cuisiné.
- Tu… tu… cuisines pour…" Le visage du cuisiner était crispé de rage et autant dire que ce n'était pas très joli joli. "Mais… *** !" A présent, il semblait manger son poing. Cette apprentie par on ne savait ni comment ni pourquoi avait accès à une des 3 personnes les plus prestigieuses et elle n'avait même pas eu l'idée de contrôler ses ingrédients ! Il aurait tellement été facile d'empoisonner !
"Ne refait PLUS. JAMAIS. CA. " Les yeux du cuisinier brulait de rage et de colère. Surtout dans SA cuisine. "A partir de maintenant tu contrôles TOUT, TOUT le temps."
- Oui. "
- ALORS FAIS LE ! " Il ne savais pas vraiment pourquoi il avait crier, mais en tout cas, maintenant il pouvait passer à autre chose, et surtout à ne plus être un garde chiot.

Carpe jeta prestement ce qui devait être et parti pour le bar. Après quelque temps, elle était revenue. Puis elle allait ici et là, récupérant ses ingrédients à la façon d'un écureuil. Elle les tenait contre elle, tels des précieux que nul ne pouvait approché. Par deux fois, elle nettoya ses ustensiles et sa paillasse. Par trois fois, elle contrôla ses pots. Jamais elle ne toucha au sucre, ou au néotame. Elle mit du temps. Elle prit le temps de faire les choses.

Quand la jeune femme revient avec son chariot, l'ambiance de la pièce était silencieuse, pesante. Les professeurs avaient dû s'expliquaient, répondre aux multiples questions. On sentait la gêne et l'inconfort chez eux.

Le dessert ne prenait pas beaucoup de place, pourtant il exaltait un parfum connu, léger, camphré et poivré et pourtant léger. Le même parfum qui avait enveloppé la demoiselle lors de sa première rencontre. Se tenant étrangement la manche, Carpe déposa devant la triumvir une coupe. Le contenu rappelait un peu le bouquet central avec le pétale rosé flottant avec des huit petites boules verdâtres, légèrement translucides. L'eau avait une couleur pâle, légèrement doréé.

" Ce n'est pas un dessert que j'ai appris au court de ce mois. Il n'est ni d'ici, ni de Trashoda. Il ne contient pas de sucre. Il n'est pas pour autant salé. Je ne connais pas son nom mais son histoire. J'espère qu'il sera à votre goût."

La jeune fille fit un pas en arrière. Elle n'avait rien de prévu à ses professeurs. Mais la professeur Sanseviera ne fit aucun commentaire, ni même un petit sifflement.

Pendant que Carpe retourne en cuisine, j’ai une longue discussion avec le personnel enseignant. Et ces messieurs dames ne vont pas aimer ce que j’ai à dire. Déjà pour commencer, ce manque d’encadrement. Je leur demande si c’est commun pour eux de laisser avec si peu de supervision une candidate RECOMMANDÉE PAR LE TRIUMVIRAT. J’ai personnellement approuvé la formation de Carpe. Et quand je dis personnellement, c’est moi qui signe le document, pas juste Venom qui envoie mes consignes et mes ordres. Donc ils peuvent bien dire « tu fais à manger à Zarseen Raynar et tu ne fais pas ceci et cela », ILS ont laissé Carpe tout préparer sans rien vérifier. Alors en ce qui me concerne, ils sont autant sinon plus fautifs qu’elle. Et ça, au risque de me répéter, ça va leur coûter cher. Alors avant de commencer à faire du drame sur leur réputation…

Ils auraient intérêt à s’en rendre digne, de leur réputation, en faisant leur boulot correctement. Oh qu’il y en a eu des questions gênantes pour eux et des commentaires à ébranler les égos les plus solides. Non. La boss n’est pas contente. Et pas que ça, en plus. De ce qu’on m’indique, finalement, ce n’est même pas Carpe qui a amené le machin avec elle… Donc QUELQU’UN a amené ce truc en cuisine et personne n’est capable de me dire qui et en quelles circonstances. Donc… Quelqu’un aurait pu mettre du poison en cuisine et PERSONNE n’a pensé à vérifier considérant qu’un MEMBRE DU TRIUMVIRAT allait venir manger? Donc en plus d’être incompétents, ils sont aussi négligents? Et comme je n’obtiens pas les réponses que je désire, je rajoute Venom à la conversation, pour la plus grande horreur de ce petit monde car ELLE sait d’où vient quoi et qu’est-ce qui est où.

C’est l’avantage d’être plus ou moins connectée à tous les droïdes et systèmes de l’APEX. Difficile de mentir quand il y a neuf chances sur dix qu’elle vous ait vu faire quelque chose. On va le faire mariner encore un moment, tiens, voir comment ils aiment quand ils sont du mauvais côté de l’évaluation. Autant vous dire que quand Carpe revient dans la pièce avec le dessert, ses professeurs se tiennent tranquilles et ils n’osent plus trop faire de commentaires. Dans leur intérêt. Car j’ai clairement fait comprendre qu’il y aurait des conséquences à leur négligence et qu’ils ont intérêt à améliorer mon humeur. J’écoute ce que Carpe a à dire sur le dessert et… Cette odeur me dit quelque chose. J’ai un bon nez, voyez-vous. Ce n’est pas ce qu’elle sentait quand nous nous sommes rencontrés pour la première fois? Je serais tentée de dire que oui, c’est bel et bien le cas. Certainement, même.

Considérez moi curieuse, dans ce cas. Un dessert qui n’est pas sucré, à mes yeux, n’est pas un dessert… Mais je ne suis pas contre découvrir quelque chose de différent. Et comme elle a parlé d’une histoire concernant ce dessert… Qu’elle me la raconte pendant que je mange. Je me demande, qu’est-ce que c’est supposé goûter, exactement? Car on compte quatre types de saveur. Si ce n’est pas sucré ou salé, il reste acide ou amer. Enfin. Si on reste dans les bases. Sinon il y a : astringent et fade, amis ce ne serait pas agréable, piquant et brûlant, même principe… Umami? Je ne saurais dire… Alors Carpe? Qu’est-ce que je suis en train de manger et qu’est-ce que ça goûte? Car c’est ce qui importe dans un repas, non? Principalement le goût et l’odeur. L’aspect visuel et la texture sont secondaires. Quant à faire appel à l’ouïe… J’imagine que si l’ambiance sonore est bonne, c’est plus agréable?

Mais j’en reviens à la question de base : Qu’est-ce que ça goûte? Sous question : vais-je aimer?

Instinctivement Carpe essaya de glisser son avant bras droit dans la manche gauche, mais fasse à la résistance, elle n'insista pas. Une histoire, elle avait promis. Alors elle prit une inspiration et posa sa voix, ni trop forte, ni trop faible, douce et pourtant fluide.

" Au soleil levant, vivait un esprit de l'eau.
Au soleil couchant, vivait un esprit du vent.

Tous les matins, se saluaient les voisins.
Tous les matins, chacun allaient bon train.
Filaient les journées inlassablement
Chacun de son coté invariablement.

Tant et si bien qu'un jour, il n'y ait plus de matin.
Il n'y avait qu'ombres et effacement.
Il n'y avait que solitude et éloignement.
Seuls se sentaient les deux voisins.

Alors ils se hélèrent
Alors ils tâtonnèrent
Se guidant de leur voix
Se rapprochant par leur pas.

Quand ils furent assez près,
Avec entrain ils se saluèrent.
Avec violence, il se cognèrent.
De leur bosse une lueur fût née.

Lisse et ronde
Pure et blonde
Chaleureuse comme le rire
De ceux qu'on aime chérir."

La demoiselle laissa glisser le silence pour reprendre son souffle. Quand elle fut prête, elle poursuivrit ses explications.

"Ce dessert est la rencontre de l'esprit du vent" en disant cela Carpe fit un mouvement de sa main qui fit remonter les flagrances épicées du bol " et de l'esprit de l'eau." Elle tapa la faïence, faisant frissonner l'onde claire.
" Ce dessert est servi quand il faut illuminer les nuits trop longues. C'est un peu un porte bonheur. Huit et surtout pas un de plus, il apporte prospérité et bonnes choses. Et comme toute les bonnes choses, il faut savoir prendre le temps. Je vous conseille de bien les mâcher pour ne pas vous étoffer. "

Le thé était à présent refroidi, il avait le goût frais. Les arômes de la fleur Trandoshan se mariait pas trop mal. Elle apportait un peu d'âcreté, c'était presque printanier. Les boules quant à elles, avait un abord assez élastique. Mais quand le cœur se libérait de sa gangue, il s'écoulait pour tapir toute la cavité buccale. Un explosion vive de saveurs poivrées et d'agrumes, puis venait la rondeur anisée. La texture était légèrement rugueuse. Le thé était alors le bienvenu pour rafraichir les papilles.

Anxieuse car inconsciente des transactions qui avait eu lieu avant son retour, elle espérait que le nouveau dessert ne déçoive pas la Triumvir. Parce que ce que Carpe avait omis de dire, c'est que c'était un dessert qui accueillait les plus fidèles clients des maisons d'hôtesse. L'histoire n'avait d'ailleurs pas été la seule à être édulcorée, le thé avait remplacé des alcools plus forts.

Mouais… Je ne peux pas dire que c’est la meilleure histoire que j’ai entendue. Disons qu’au sein de mon clan, c’est plus des histoires… Mouvementées. Quand la chanson commence par : « Dans une hutte on a grandi, depuis tout jeunes on prend des gnons. L'acier tranchant c'est notre vie, et nos loisirs c'est la baston. » Après, à notre défense, c’est une TRÈS vieille chanson de clan mais… Voilà. Je ne dis pas que son histoire est mauvaise. Juste que moi, elle ne m’impressionne pas. Le dessert non plus, s’il faut être honnête. Pas mauvais. Non. Mais au risque de me répéter, un dessert qui n’est pas sucré, ce n’est pas un dessert, en ce qui me concerne. Et je le dis à Carpe, d’ailleurs. De façon constructive. Je ne suis pas un monstre. Toujours donner une critique constructive, sinon vous assassinez le talent et ça, c’est prodigieusement CON. En majuscules.

« Un bel effort, l’histoire était intéressante mais dans mes cordes. Toutefois, tu racontes bien et je peux facilement imaginer pas mal de monde qui serait enthousiaste de se faire raconter ce genre de récit pour expliquer, si on veut, leur dessert. Trouver du symbolisme dans les choses, c’est TRÈS à la mode en ce moment. Donc clairement, même si ce n’est pas mon truc, tu gagnes des points, félicitations, Carpe.

Ensuite… Un dessert qui n’est pas sucré, pour moi, ce n’est pas un dessert. J’ai aimé quand même, ne te trompes pas. Le mariage des saveurs est très intéressant, la présentation originale et agréable et les saveurs, les goûts, les textures… Suffisamment nouveau pour moi pour porter l’étiquette découverte. Je l’aurais plus vu comme une collation, tiens. Mon opinion. Pas forcément la chose à faire. Juste… Mon opinion. Et maintenant… Un défi.

Je veux un dessert. Sucré. Je vais te donner une erreur à ne pas faire et après, tu te débrouilles pour le reste. Je DÉTESTE le sucré / salé dans un même plat. Si tu me sers du caramel salé, tu vas retourner aux cuisines et ce sans que tes pieds ne touchent le sol. Je vais t’y balancer de toute la force de mes bras qui sont, comme tu peux le voir, puissant. Mais pour le reste? À toi de me surprendre. À toi de montrer que tu sais jauger…

Ta clientèle. Et vous autres, les mentors, professeurs et autres clowns pas foutus de faire leur boulot. Vous avez intérêt à vous rendre utiles et à être prêts à répondre aux questions de Carpe si elle en a ou de lui faire profiter de votre expertise. Si je suis insatisfaite, ce n’est pas l’élève que je vais blâmer mais le maitre. Est-ce que je me fais bien comprendre? En même temps, Carpe, ne fait pas exprès d’échouer par vengeance… »

Est-ce que je pense que Carpe ferait une telle chose? Non. Pourquoi je l’ai dit à voix haute? Pour montrer à ses professeurs que je ne fais pas de favoritisme. Si Carpe sabote volontairement le dessert, ELLE fera face aux conséquences. Je reste convaincue, toutefois, que tout va bien se passer. J’ai été constructive. J’ai été encourageante. À elle de me montrer qu’elle est digne de ce renforcement positif. Elle n’a pas fini de me surprendre, cette petite. Et c’est très bien. Elle amène quelque chose de culturellement différent. Sa façon de faire les choses n’est pas quelque chose de commun dans le secteur. Et la nouveauté est, à mon avis, un des moteurs de l’imagination. Confronté à l’inconnu, cela peut ouvrir des nouvelles avenues qu’on n’aurait jamais considéré auparavant… Carpe, donc, est beaucoup plus intéressante qu’elle ne pourrait initialement le croire…

Carpe s'était rendue compte qu'elle retenait son souffle quand Zarseen dit les trois premiers mots. Bon pour le reste, elle resta de marbre même si, ce qu'elle avait raconté n'était pas dû à un effet de mode, mais cela s'inscrivait dans une façon de vivre… différente.

Un dessert c'est quoi si ce n'est un mot ? Ce n'était tout simplement pas ce qui se mangeait en dernier ? Du sucre… Le sucre, il y en avait plein ici. En tout cas, il y en avait même dans les rations / repas qu'elle avait tous les jours. Et, non, cela ne lui plaisait pas tellement. Mais bon… il fallait à nouveau réfléchir. Encore. L'esclave commençait a fatigué un peu de sa longue journée, mais elle savait qu'elle avait encore de la ressource. Réfléchir à un truc sucré. Mais pas trop. Et pas ce qui venait de chez elle. C'était de la découverte, pas une surprise… Surprendre. Il fallait surprendre.

Bon ici comme là bas, les maîtres étaient toujours aussi pointilleux avec des exigences fantaisistes. A la différence d'ici, c'est que les risques à faire un dessert su-cré ne portait pas vraiment atteinte à sa vie lors du processus de réalisation. A moins que…

Le bruit de la batterie de cuisine, des fours et des crépitements et des flammes, sortirent la demoiselle de sa réflexion. Elle avait été trainée jusque là par ses professeurs, bien content de pouvoir s'échapper de la salle et désireux eux aussi de saisir leur deuxième chance.

"Alors ? A quoi avez-vous pensé Mlle Kouam ?" Le professeur la regardait se laver les mains.
" Je ne sais pas, car le budget alloué pour ce repas est consommé.
- Tsss. C'est le repas de la Triumvir Mademoiselle ! Rien n'est trop beau ni trop bon ! Alors vous vous sortez cela de la tête et vous la contentez !
- C'est bon, ne vous préoccupez pas de ça. Alors avez-vous une idée Mlle Kouam ?
- Qu'aime manger la Triumvir, Kouam ? Puisqu'il semble que vous la connaissez… " Les sous-entendu du troisième professeur n'était même pas subtils. Mais Carpe préféra les ignorer

- Comme il faut quelque chose rapidement, j'avais pensé à découper joliment un fruit…
- Tss, négatif.
- Je pense que vous pouvez prendre un peu plus de temps.
- Alors je peux refaire un des desserts prévus ? "

Le troisième professeur se saisi du calepin de préparation et parcouru les recettes. Chaque page suscita chez lui une moue dubitative.
" Il n'y a rien d'original."
- Ha." L'apprentie s'essuya à présent les bras. "Professeur que pensez vous du sixième dessert que l'on avait vu en cours le troisième jour de la semaine dernière ?"

Bon… Il y avait des façon de présenter les choses un peu plus clairement mais les professeurs avaient eu une bouffée de fierté de savoir qu'ils était au moins écouté par quelqu'un.

"Pourquoi pas… Peux tu me dire comment choisir un fruit bien mûr et pas gâté ?"

C'est ainsi qu'accompagnée par deux de ses professeurs, Carpe chercha ses ingrédients, vérifia, nettoya, pesa, coupa, revérifia, surveilla, prépara le dessert vu en classe, tandis que la professeur Sanseviera faisait très bien la plante en pot. La porte du four refermée, alors que l'élève nettoyait ses ustensiles, elle osa enfin poser sa question.

"Professeur, est ce que si on fait chauffer le sel dans un caquelon, comme pour le sucre, on obtient du caramel salé ?"
L'esquisse d'un sourire se dessina sur les lèvres de ses mentors.
"Tss…"
Les six yeux se tournèrent vers la professeur. Celle-ci était bras croisés à regarder la dispositions des assiettes qui allait être servies en salle dans le restaurant de l'hôtel. Quatre épaules se haussèrent ensemble.
"Non pas du tout Mlle Kouam, Il faut…"
- ça ne sert à rien de le savoir, la Triumvir n'aime pas." Coupa le professuer. Il s'en suivi entre eux un désaccord et un débat sur la pédagogie commença.

"Euh… Kouam ? Où allez vous ?"
"Je voulais juste allez récupérer des meringues pour pouvoir faire le septième plat de la demi journée du quatrième jours de la deuxième semaine de formation."
"Euh…"
"Mlle Kouam, ce n'est pas un dessert, c'est une mignardise."
"En effet, mais c'est très sucré. Et ça clôt le repas. N'est ce pas ce qui était demandé ?"
"Oui, oui… pourquoi pas… cela peut être surprenant aussi…"

Et c'est ainsi que Carpe revient avec ses trois professeurs avec sur son chariot, une assiette neigeuse, et sur la seconde un petit dôme couvert de copeau de cacao. Le dressage était soigné, Mme Sanseviera était sortie de son état végétatif pour aider dans sa spécialité. Elle avait fait faire des apports fort à propos et elle était plutôt satisfaite du résultat.

"C'est une tart'o'baba. Sous le sucre centrifugé, vous trouverez une tarte renversée aux fruits de Transhoda." Le dessert était blanc, neigeux et volumineux. Tous ustensiles s'enfonçaient dans la masse duveteuse sans résistance. Les fruits acidulés avaient compoté dans le four, libérant tous leurs aromes tandis que la pâte était devenue croustillante.

"C'est un Fan-astique. " Carpe déposa la seconde assiette non loin de la première. Elle avait joué sur les contrastes. Le dôme sombre était petit, compacte. Pourtant, malgré la crème fouettée qui tenait le tout, le second dessert était léger en bouche.

Carpe était encore stressée, mais quelque part, au fond d'elle, elle voulait vraiment plaire à Zarseen.

Ah bah voilà! LÀ on parle de dessert! Cela en valait l’attente en tout cas, je suis très curieuse de goûter. Et je ne suis pas déçue, c’est ça de gagné! Bien joué, Carpe, bien joué. Elle gagne des points, c’est sûr. Et si ses professeurs sont trop cons pour apprécier ses efforts… Elle sait au minimum que MOI j’apprécie et que je suis agréablement surprise. Et considérant que c’est moi la patronne... Ils ont intérêt à ne pas m’emmerder avec leurs conneries! Donc, après toute cette soirée qui a eu certes ses hauts et ses bas, il faut que je donne une note. Les privilèges de faire partie du Triumvirat, tout ça… Et ma note finale est… Sept point cinq sur dix. Soixante-quinze pourcents, si vous préférez. On ne dira : mais ce n’est pas énorme, quand même, comme note. Certes. B-. Très bien, en fait. A-, il aurait fallu au minimum 84%. Éventuellement, qui sait…

« Note finale provisoire : 75%. Pourquoi provisoire et pas finale? Car Carpe, tu as la chance de faire monter ou descendre ta note car je m’attends à une rétrospection de ce que tu as fait. Non, tu n’as pas de temps pour te préparer ou pour y penser. Je la veux à froid, sur le vif, alors que les émotions sont encore bien vivantes. Naturellement, mon verdict d’abord. Première des choses : très satisfaite de toi, Carpe.

Tu as pris des risques, tu as osé. Tu as fait des erreurs. C’est certain. Et c’est normal. Mais tu as gardé la tête froide, tu as persévéré. Tu as pris mes commentaires en considération tout en gardant une façade professionnelle. Tu as répondu honnêtement sans chercher à te justifier, contrairement à tes professeurs qui ne vont pas aimer ce qui va leur arriver dans les heures à venir. Mais c’est leur problème et non le tien. Le focus est sur toi, bien sûr.

Je ne vais pas mentir, certaines erreurs sont impardonnables. Ne pas vérifier ses ingrédients, ses dosages, ne rien goûter ou faire goûter : ce n’est pas quelque chose qui est digne de quelqu’un avec ton niveau de débrouillardise. Et ce n’est pas quelque chose que je veux revoir, peu importe la formation que tu suis. Je m’attends à ce que des éléments si fondamentaux soient maitrisés. Vois-le comme mon inquiétude pour ta sécurité.

J’ai bien aimé le fait que tu as intégré des éléments de ta culture dans ton travail. Que tu as su prendre des initiatives sans tomber dans le piège facile de trop en faire, de vouloir épater la galerie. Petit conseil : toujours se renseigner sur sa clientèle. Tu aurais ainsi pu éviter la légère insatisfaction lors du dessert. Autrement, comme dit, j’aime le fait que tu as essayé, que tu as tenter d’innover, que tu es restée maitresse de toi. Très bon travail. »

Est-ce qu’elle va bien le prendre? Mal le prendre? J’ai envie de dire : c’est sans importance. Je suis fière d’elle, de ce qu’elle a accompli. Est-ce qu’on peut prétendre à la perfection la première fois? Non. Pas même à la dixième ou à la centième fois. Depuis le début, je dis que Carpe a du talent. Je sais reconnaitre ce genre de choses. On ne dirige pas l’APEX sans savoir reconnaitre les ressources rares autour de soi. Et dites-vous que c’est juste une des nombreuses formations pour lesquelles Carpe a décidé de s’inscrire. Il y en a encore d’autres. Et je serai là pour évaluer ses progrès, évidemment. C’est juste normal. À quoi cela sert de faire des efforts si personne n’est là pour les apprécier? En quelque part, Carpe est ma responsabilité. J’ai décidé de la prendre sous mon aile, d’en faire un investissement. Comment elle me voit, elle me perçoit, aucune idée. C’est ce qui rend les relations si intéressantes : ne jamais tout savoir sur la personne en face de soi…

Ce que j'ai appris… Pensa la demoiselle. Elle était fatiguée, elle avait mal au pieds, elle était mécontente de sa performance, de la soirée qui s'était éternisée en devant refaire des plats. Mais tout cela, elle le garderai pour elle, car au finale son invitée avait dit être satisfaite et que les mots gentils, les encouragements et la confiance de celle-ci lui avait vraiment fait plaisir. C'était la fin. Enfin presque. Il fallait encore lui répondre.

"J'ai appris la cuisine.
J'ai appris qu'il ne suffisait pas de chauffer un ingrédient pour le servir. Les types de cuissons sont multiples, les ingrédients encore plus. La découpe bien que facilité est un temps assez plaisant. Les quantités et qualité de l'ingrédient initial vont influencer grandement sur le produit final. J'ai appris qu'un ingrédient ne pouvait pas impunément se suppléer à un autre. Des mélanges et des raccourcis ont été fait et je m'en excuse. Vraiment.

J'ai appris qu'il est important que le travail en salle et en cuisine ne soit pas réalisé par la même personne. C'est un travail d'équipe. Et j'ai travaillé seule.

J'ai appris qu'ici aussi, il faut rester vigilant. Pour tout et sur tout.Je ne le referais plus. Je m'excuse vraiment pour le Néotame. Sincèrement.

J'ai appris l'importance de la mise en assiette, du respect de l'ordre des plats. Il est également important de connaitre les habitudes, les pratiques et les goûts de ses hôtes. Et je suis restée dans les livres.

J'ai appris que vous êtes une hôte exigeante. Vous aimez la viande et les desserts sucrés et vous n'aimez pas les plats ayant des goûts antagonistes. Afin de vous permettre de passer un agréable moment, il faut réussir à vous surprendre et rester sincère.

Je le savais déjà, mais… je n'en ai pas fini d'apprendre. "

Bon, elle avait aussi appris qu'il n'était pas simple d'être Triumvir. Aux yeux de Carpe, Zarseen devait être très seule. Heureusement que Vernom était toujours avec elle. C'était peut être aussi pour cela d'ailleurs.

"Merci de l'attention que vous avez porté sur mes plats.
J'aimerai également remercier mes professeurs pour leur apprentissage."

Tsss… siffla la langue tandis que la professeur hochait de la tête. Les deux autres la fusillèrent du regard. Ils étaient tous deux inquiets pour leur avenir. Ils regrettaient de n'avoir pas pris suffisamment au sérieux la relation entre la tutrice et leur élève.

« Tes excuses sont acceptées. Tant que tu as appris de tes erreurs, en ce qui me concerne, c’est quelque chose de positif. Et tu n’es pas la seule qui devrait faire des excuses. Oui c’est à vous que je m’adresse, les professeurs. Le succès ou l’échec de votre élève est VOTRE succès ou échec. Vous avez intérêt à vous en souvenir à l’avenir ou vous n’enseignerez plus grand-chose, c’est moi qui vous le garantis. Suis-je bien claire?

Excellent. Maintenant, Carpe, puisque tu sembles aimer cuisiner, j’ai une proposition pour toi. Tu peux refuser, ce n’est pas une obligation. J’aimerais voir comment tu t’en sors en tant que barmaid. Servir les clients, faire des mélanges, savoir jauger ta clientèle, déterminer ce qui leur plairait s’ils ne savent pas quoi choisir, les amener à révéler des choses intéressantes, etc. Tu as un esprit vif, tu t’adaptes rapidement et c’est excellent.

Maintenant, les profs, dehors. Je veux parler à Carpe en privé. Et Venom? Assure-toi que personne n’espionne ce qui va se dire. Voilà. Parfait. On peut parler seule à seule en toute franchise. La façon dont tu as ramassé une arme improvisée quand le cuisiner est entré. Personne qui n’a jamais manié une arme avec l’intention de tuer ne réagit ainsi. Quand les gens sont surpris, l’étonnement, la peur, c’est plus ce qu’on s’attend à voir. Mais pas toi.

Peut-être que je me fais des idées. Peut-être. Mon instinct me dit que non, en tout cas. Donc… L’idée de te faire essayer une formation de barmaid est parce que si mon intuition est juste, je ne vais pas… Comment dire… Gaspiller ton talent dans un boulot civil. L’espionnage, en revanche… Cela pourrait être intéressant de voir comment tu t’en sors. Assassin professionnelle… Ce serait potentiellement du gâchis, par contre. Bref…

Je ne veux te forcer à quoi que ce soit. Mon but n’a pas changé. Développer ton plein potentiel, quel que soit ce potentiel. La même offre qu’au début tient. Dis-moi ce que tu veux essayer et j’investirai dans ta formation. Jusqu’à présent, je suis satisfaite de mon investissement. On pourrait argumenter que ce n’était pas parfait comme soirée et à cela je réponds que pour un premier essai, c’était une bonne performance malgré tout.

Ultimement, beaucoup de bla bla mais ça te donne une idée très claire de ce que je compte ou veux faire de toi. Ou avec toi? Je ne suis jamais certaine de la formulation. Le basique n’est, après tout, pas ma langue maternelle. Mais toi, Carpe, qu’est-ce que tu en penses? Je veux ton opinion. Sans filtre. Je déteste quand les gens omettent ou altèrent des trucs juste parce que je fais partie du Triumvirat. Je suis une personne moi aussi. »

Donc voilà. C’est dit. C’est présenté. Les cartes sont sur la table. Mon but n’est pas différent d’avant. Ça c’est certain. Et je n’ai aucune raison de vouloir changer d’objectif avec elle non plus. Je la considère comme un investissement et donc, je mets en œuvre les moyens nécessaires pour que cela me rapporte, dans l’absolu. Est-ce égoïste? Pas vraiment, non, pas en ce qui me concerne. Elle apprend des choses grâce à mon argent et en échange, je m’attends à ce qu’elle travaille pour moi et mes projets. Bon, évidemment, si elle décide de ne pas travailler pour moi, elle recevra une jolie facture avec tout ce qu’elle a coûté et qu’elle doit rembourser mais c’est une toute autre histoire, n’est-ce pas? Je ne me souviens plus qui m’avait dit un jour que c’est comme avec un enfant : est-ce que tout cet argent investit dans leur développement et leur éducation est un cadeau ou un prêt?

Les professeurs quittèrent la pièce avec dignité à la demande de la Triumvir après l'avoir salué. Il ne restait plus que la demoiselle et la géante Mandalienne, Vernom aussi avait estimé l'apprentie. Des questions s'entrechoquaient dans la caboche de Carpe pourtant elle attendait en silence. Il ne dura pas longtemps et Zarseen reprit, multipliant ses questions, engendrant encore plus de questions. C'était une belle table de billard sur laquelle le chaos régnait en maitre.

Méticuleusement, Carpe déplia les demandes, les avis et les remarques. Elle fit le ménage des boules superflues, pour se concentrer sur les plus importantes.

"Je pense aussi que vous êtes une personne. Tout comme Vernom. Mais vous incarnez aussi une fonction. Et on peut avoir peur, de la fonction, comme de la personne. Je n'en réchappe pas. Vous avez littéralement ma vie, mon contrat d'esclavage entre vos mains. Donc, je serai barmaid. De plus, le travail de nuit ne me dérange pas. Je reviendrai sur des rythmes qui me sont plus naturels. Oui, c'est avec… " Carpe fit une pause dans ce qu'elle avait ressenti et y chercha le bon mot, ou du moins celui le plus juste. " C'est avec plaisir que je suivrai la formation et exercerai la fonction de barmaid. " dit elle d'une voix claire, presque enjouée, avant de s'incliner avec respect.

" Je ne sais pas si je suis la meilleure personne pour faire parler les gens. Mais je pense pouvoir les écouter. Et tout comme pour la cuisine, je chercherai à faire, à apprendre de mes erreurs et à persévérer. " Quand il s'agissait d'apprendre, Carpe était toujours sincère. Plus elle apprenait, plus elle se trouvait ignorante. Et il y avait tellement de chose à savoir ! Mais sa curiosité ne prenait rarement le pas sur la pondération.

" Je ne sais pas en quoi consiste précisément l'espionnage. Mais par contre, pour l'assassinat, je sais. Et…" Telle un chat se trouvant acculé et faisant face à une surface aqueuse, Carpe prit son élan.

" Et je n'aime pas tuer."

Voilà, c'était dit. Le saut n'avait pas été gracieux avec les quatre pattes à l'horizontale, mais maintenant, elle était mouillée.

"Tuer. Mourir. Ce sont des choses qui sont par nature, irrémédiables, bien qu'inéluctables. Je la préfère au naturel. Un temps, j'ai eu la prétention de protéger. J'ai échoué. Donc, ne faisant pas partie de mes points forts, je ne vous l'avais pas mentionné. Mais des reflexes sont restés." Elle fit une pause pour reprendre son souffle. "Dois-je trouver du temps pour reprendre mon entrainement ? "

Encore un effort. Carpe releva les yeux pour regarder la dirigeante alienne.

"J'avais une question… C'était si… Est-ce que… Qu'est ce que vous aimez boire ? "

Se rendant compte de l'incongruité de sa question, la jeune femme se débattait comme un chaton.

"Ce n'est pas pour maintenant, là tout de suite… mais c'est… pour apprendre à vous connaitre…" dit elle d'une petite voix. Un chat mouillé, ça ne payait pas de mine, mais c'était toujours sur ses quatre pattes qu'il se tenait à présent fermement ancré dans le sol. Un bon serviteur se devait de connaitre son maitre. Un bon maitre succitait le respect chez son serviteur. Mais loin de sa maitresse, comment apprendre à la connaitre ? parce qu'elle la respecter à bien des égards.

« Tu as le droit de ne pas aimer tuer et je ne compte pas te faire quelque chose que tu ne veux pas faire, dans les limites du raisonnable. J’essaie de ne pas trop te mettre de chaines mais tu as quand même un contrat avec moi. Et l’espionnage…Ce n’est pas pour tout de suite. C’est surtout… De la patiente observation et être plus malin que sa cible. Ceci dit, je ne suis clairement pas la personne pour te parler de ça, oh non.

Je veux dire, tu m’as vu la carrure? L’espionnage demande de la discrétion et ce n’est pas comme si j’en avais. J’entre dans une pièce, tout le monde me remarque immédiatement. L’espionnage fait aussi appel à la séduction et… Une géante verte plus musclée qu’un wookie, ça n’attire pas tant de monde que ça. Bref. Pour le moment, essaie le métier de barmaid. Si tu aimes, super. Si tu n’aimes pas, on trouvera autre chose. »

Carpe a le droit de dire ce qu’elle aime ou ce qu’elle n’aime pas. Ce qu’elle veut faire ou ne veut pas faire. Oui, techniquement, un contrat nous lie. Maitresse et esclave, si vous devez le réduire à sa plus simple expression. Mais si j’ai rapidement appris un truc concernant les esclaves c’est que si vous les traitez bien, vous n’aurez jamais à craindre une rébellion ou pour votre vie. Et comme mon but est de développer son potentiel, c’est dans mon intérêt de trouver ce qui l’inspire plutôt que strictement ce que moi je voudrais qu’elle fasse. C’est une question d’équilibre, voyez-vous… Mais bon. Elle semble intéressée à devenir barmaid donc c’est excellent. Je compte l’employer dans un de mes établissements pour grosses pointures. Son… Exotisme… Va attirer du monde. C’est bien la différence. Très vendeur. Très, très, très vendeur. Les gens aiment la nouveauté.

La jeune femme me pose ensuite une question qui me prend plus ou moins au dépourvu. Qu’est-ce que j’aime boire? De l’eau. On me dira, pas très original mais… Fondamentalement, cheffe de l’APEX ou non, je suis restée quelqu’un de simple. Quand on chasse par chez nous, on amène de l’eau. Rien comme vos boissons énergisantes fancys et colorées. Sinon quoi… Le thé est assez traditionnel par chez nous. Enfin. C’est plus une tisane ou une infusion avec des plantes de chez nous mais le principe est similaire. En hiver, il n’est pas rare de voir le clan prendre le thé ensemble avant de partir dans le blizzard et la neige pour chasser nos proies. Côté alcool… Quelque chose de fort, qui déchire. Il en faut énormément pour coucher quelqu’un comme moi. Certains vont dire que c’est tellement intense que ça pourrait servir de carburant mais c’est une autre histoire.

« Ce que j’aime boire? De l’eau, plus souvent qu’autrement. Et pas ces conneries aromatisées. Une tranche de citron, quelques feuilles de menthes, à la rigueur. De l’eau chaude et du miel, pour la gorge, admettons… Sinon, par chez nous, les infusions ou les tisanes. Votre médecine moderne n’existe pas chez nous. Alors le pouvoir des plantes, c’est une grosse partie de notre culture. Vous avez quelque chose de similaire.

Le thé. Je préfère quelque chose de fruité ou épicé à quelque chose de floral. Surtout que les fleurs, par chez nous, elles essaient de vous bouffer alors… Côté alcool, quelque chose de fort, qui déchire. Pas ces conneries de cocktails colorés et sucrés, non, non. Le genre de truc qui te donne l’impression de prendre en feu de l’intérieur. Euh… Tu avais une catégorie spécifique en tête ou ça répond bien à ta question, des fois que… »

Carpe écouta la réponse avec attention. Elle hochait la tête comme pour imprimer les mots de la Triumvir. La limite du raisonnable lui sembla très mystérieuse et surtout à l'appréciation de qui ? Quelle question. C'était celle de sa maitresse. Dans tous les cas, l'invocation de la raison était une version élégante de prévoir le pire, sans promettre le mieux. Voilà qui était du bel ouvrage.
Par contre, le travail d'espionnage était remis à plus tard. Tout comme la fiche de poste. C'était également noté.

L'embarra de l'esclave s'accentua en sentant la gêne de la triumvir. Mais quand celle-ci lui répondit avec franchise, elle pu se remettre à respirer pour boire les paroles.
De l'eau chaude, comme froide, du citron, de la menthe, du miel, des fruits et des tisanes.
Du thé avec des fleurs carnivores. C'était sucré une fleur qui mange des gens ? La curiosité de Carpe s'anima.
Et sinon, des alcools forts. Qui déchire ? Euh… il faudra qu'elle fasse des recherches car elle savait que certains alcools pouvait rendre les gens froissés, mais les déchirés… non. Bon, visiblement, ce n'était pas tout à fait létal, sinon Zarseen ne serait plus de ce monde.

"Merci beaucoup pour votre réponse, elle me satisfait grandement." Mains l'une contre l'autre posées au niveau de l'abdomen, la demoiselle s'inclina avec respect. Elle avait d'autres questions mais elle ne voulait pas mettre plus la triumvir dans l'embarras avec sa curiosité. De plus, il n'était pas toujours raisonnable de satisfaire sa curiosité vis-à-vis d'un maitre. Surtout quand celui-ci appartenait à une mafia.

"Ai je également répondu à toutes vos questions ?" Son dos était encore incliné, en guise de soumission.

Hum… Je n’ai pas vraiment de questions pour elle, non. Si jamais j’en ai, je les poserai en temps et lieu. Si elle n’a rien d’autre à demander pour le moment et qu’elle accepte de suivre la formation de barmaid que j’ai suggéré, tant mieux. Cela va conclure la soirée sur une note positive. Enfin. En ce qui me concerne, c’est une note positive. Vous pouvez ne pas être d’accord si vous voulez, c’est votre droit. Je continue de dire que Carpe a énormément de potentiel et j’ai hâte de le voir pleinement réalisé. Mais bon, vous savez ce qu’on dit : tout vient à point à qui sait attendre. Et là, justement, il n’y a rien d’autre à faire sinon qu’attendre. C’est comme avec… Je ne sais pas… Un jardin de fleurs. Même si vous voulez qu’elle pousse et que tout soit beau, il faut laisser la nature faire son œuvre. Vous ne pouvez pas précipiter certaines choses, pas sans faire de connerie.

Après avoir donné à Carpe un peu plus d’informations sur où elle doit aller pour la formation et la consigne stricte que si ses professeurs ne font pas correctement leur travail, je veux le savoir car je ne veux pas que ce qui s’est passé ce soir se reproduise, je lui dis au revoir avant de me diriger vers la sortie pour rentrer au QG. C’est que bon, je suis quand même membre du Triumvirat, ce qui implique un grand nombre de responsabilités. Oubliez ça, une nuit de congé. J’ai encore du travail devant moi. Au cas où vous l’auriez oublié, il y a une guerre galactique en ce moment. Et donc, si je veux que ma faction continue de s’enrichir et de prospérer dans ce merveilleux, merveilleux chaos, je dois m’assurer que des ententes soient passées, des opérations soient menées et que des offres qu’on ne peut pas refuser soient faites. Occupez-vous mal de votre faction et c’est la ruine assurée, oui!

Une fois de retour au QG, je demande à Venom son rapport. Pour commencer, sur les profs de Carpe. Voir qui aura peut-être le droit à ma clémence et qui est foutu. Et ensuite, son analyse de Carpe elle-même. Si elle va vraiment rester uniquement une ressource « civile » ou si elle a ce qu’elle faut pour l’espionnage, comme d’autres membres de l’APEX avant elle. Attention, je ne dis pas qu’il y a quelque chose de fondamentalement mauvais à être simple civil. Au contraire, il en faut, es civils. C’est une ressource humaine très précieuse. Sans civils, il y a énormément de choses qui cesseraient de fonctionner, tout simplement. Oh c’est certain, vous entendez parler d’un conflit, vous entendez parler de ces soi-disant héros qui se sont distingués sur le champ de bataille. Oui bah le bar où il va pour avoir son courage liquide, c’est un civil qui le fait tourner. Bref. On s’éloigne du sujet.

Aux yeux de Venom, Carpe pourrait avoir le potentiel pour l’espionnage si et seulement si elle est intéressée par la chose. Une esclave qui obéit par obligation ne performera jamais aussi bien qu’une esclave qui agit par conviction car elle croit en sa maitresse. C’est aussi simple que cela. Ce qui veut dire que si je veux que Carpe devienne une espionne, il faut que… Je me rende digne de sa confiance et de son admiration? En soi, je ne vois pas en quoi ce serait un problème. En pratique, cependant, cela pourrait être sensiblement différent. Commençons déjà par voir comment elle s’en sort en tant que barmaid. Une nouvelle expérience, une nouvelle aventure, pour elle. Et comme tout bon récit, ce ne sera pas raconté ici, pour faire durer l’anticipation. Regardez comment se termine une saison d’une holo série si vous ne me croyez pas. Et comme dirait l’autre : mais ceci est une autre histoire…

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