8,64e+13 nanosecondes [PV Lukan Reige]

Lukan ne s’autorisait pas souvent des permissions mais il avait apprécié de passer du temps avec Cordélia et avec sa famille au domicile des Reige sur Bastion. Orphelin à un jeune âge, il avait appris à quel point ces moments étaient précieux et à quel point la vie pouvait être courte. Si ses congés s’étaient déroulés dans une ambiance des plus agréables et détendues, toutes les bonnes choses avaient une fin. En l’occurrence, ce n’était même pas le Grand Amiral qui s’était rappelé à son bon souvenir mais un Moff qui souhaitait le rencontrer pour échanger sur la guerre et sur les différents fronts. D’ordinaire, Reige aurait pu prétexter que le devoir l’empêchait de quitter son vaisseau amiral mais en l’occurrence, cette excuse ne tenait pas lorsqu’il se trouvait en permission. Si cela ne suffisait pas, son père, Valin Reige, qui était le Moff en charge de Bastion, lui avait conseillé de ne pas froisser ce Moff en particulier, Tiaan Tavira, qui exerçait une certaine influence sur les financements de la flotte impériale.

Ainsi, l’amiral Reige avait consenti à le rencontrer dans le système de Yaga Minor, dans l’idée de visiter après coup le domaine de ses parents biologiques. Il fut amené sur le yacht personnel du Moff, la Perle de Kuat. Le vaisseau personnel du Moff Tavira était décoré avec une opulence qui frôlait l’indécence, même pour un gouverneur sectoriel. S’il fut reçu avec les honneurs qui convenaient à son rang, Lukan constata que le Moff était davantage intéressé par des récits « croustillants » de batailles que de véritablement connaître les derniers développements stratégiques aux frontières de l’Empire. L’entrevue ne fut cependant pas tout à fait en vain puisqu’il obtint du Moff qu’il fasse du lobbying auprès du Conseil des Moffs pour augmenter les lignes de financement de la flotte.

Les choses dérapèrent au moment où la Perle s’amarra aux chantiers orbitaux de Yaga Minor, de sorte à le laisser ensuite regagner le sol. D’ordinaire très prudent, Lukan n’avait pas été en mesure d’apporter d’armes à bord du Yacht, si bien qu’il fût pris au dépourvu face au projectile qui le percuta dans le cou et qui lui fit perdre connaissance en l’espace de quelques secondes.


Lorsque l’amiral reprit connaissance, sa bouche lui parût pâteuse et son cerveau était embrumé, une impression qui lui laissait croire qu’il avait été drogué. Ouvrant les yeux, il découvrit une pièce peu éclairée, dans des tons rougeâtres. Elle ne ressemblait pas du tout au yacht du Moff Tavira, qu’il s’agisse du décor bien sûr mais aussi des vibrations. Il ne se trouvait pas sur un vaisseau ou en tout cas pas un vaisseau aussi petit que le yacht, sinon quoi il aurait ressenti à minima les vibrations du moteur. Pour autant, la gravité légèrement anormale laissait à penser à cet officier de la marine aguerri qu’il ne se trouvait pas sur une planète. A son avis, il s’agissait soi d’un très large vaisseau, auquel cas il était très éloigné des moteurs, soit sur une station spatiale. Des chantiers navals comme ceux de Yaga Minor étaient aussi une possibilité.

Se redressant en position assise, Lukan remarqua qu’il était toujours vêtu de son uniforme mais qu’on lui avait retiré son comlink et son datapad sécurisé. Même son implant neural était neutralisé ou en tout cas, il n’y avait aucun système auquel il puisse se connecter. En revanche, on lui avait attaché une montre au poignet, qui n’indiquait pas l’heure mais un minuteur s’il venait à en croire le bip sonore qui précéda le démarrage d’un décompte de vingt-quatre heures. Vingt-quatre heures avant quoi ?

Sentant une odeur de brûlé, l’amiral remarqua en se tournant la présence d’un corps calciné un peu plus loin dans la pièce. Tandis qu’une trappe s’ouvrait d’un côté de la pièce, Reige sentit une forte chaleur émaner de l’extrémité opposée. Entourant son visage d’un pan de sa cape pour se protéger d’éventuelles fumées toxiques, l’impérial se mit à courir dans la direction opposée aux flammes qui ne tardèrent pas à engloutir la pièce. Lukan eut à peine le temps de se faufiler dans la trappe et de la refermer derrière lui avant que les flammes ne l’atteignent, comme il put en juger par la chaleur qu’il ressentait à travers l’épaisse trappe de duracier.

La nouvelle pièce où il se trouvait était identique à la précédente, à la différence près que la lumière tamisée était verte plutôt que rouge. Posant son regard tout autour de lui, il n’aperçut pas de danger immédiat, ni de dépouille cette fois-ci. Cet endroit semblait être équipé de dispositifs de sécurité automatisés, trop létaux pour qu’il s’agisse d’une prison, à moins que ce soit une prison de haute sécurité mais dans ce cas-là, les cellules auraient été équipées de dispositifs pour nourrir les prisonniers de façon plus sécurisée que des trappes aveugles. Il avait déjà vu des dispositifs un peu similaires sur des bases pirates mais nettement moins sophistiqués et surtout moins uniformisés. S’agissait-il d’un terrain de chasse pour des individus qui se livraient à de la chasse à l’homme notamment ?

Lukan l’ignorait mais son décompte indiquait déjà 23h51 et au vu de ce qui l’avait accueilli dans la pièce précédente, il supposait que ses chances de survie prendraient fin en même temps que le décompte s’il n’arrivait pas à sortir de cet endroit.

Décidant de ne pas rester en place, l’amiral se dirigea vers l’extrémité opposée de la trappe par laquelle il était arrivé et il commença à essayer d’activer son mécanisme d’ouverture. Il crut entendre une voix de l'autre côté.

- Est-ce que quelqu'un m'entend ? Appela-t-il d'une voix forte.

Enfin une autre personne vivante dans cet endroit tout droit sorti d’un cauchemar ! La trappe était brusquement devenue transparente et il aperçut un Shistavanéen qui portait au poignet un dispositif qui ressemblait beaucoup au sien. Un autre prisonnier peut-être ? Son compagnon d’infortune frappa la vitre mais sans effet. Bien qu’il ne fût pas un spécialiste de la physionomie shistavanéenne, il supposa que son large sourire était une expression de soulagement qui venait faire miroir à la sienne. Ni l’un ni l’autre n’était seul désormais, même s’ils se trouvaient toujours séparés par cette paroi.

Grâce à ses griffes, le Shistavanéen lui indiqua son nom ou plutôt, il le supposait, un surnom. Il était peut-être plus prudent de ne pas utiliser de vrai nom tandis qu’ils ne savaient pas qui les observait. Contrairement à son interlocuteur, Lukan ne disposait pas de griffes et il n’était pas sûr que les broches de sa cape soient en mesure d’entamer suffisamment la surface de la paroi pour y graver quelque chose.

En revanche, il avait repéré un mécanisme sur sa montre qu’il n’avait pas réussi à faire fonctionner jusqu’ici. Tournant la petite molette, il testa différentes positions avant d’entendre un bruit de respiration qui semblait être calé sur le rythme d’inspiration et d’expiration du Shistavanéen en face de lui. S’il ne se trompait pas, les « montres » fonctionnaient comme des comlinks réglables sur des fréquences pré-enregistrées.

- Est-ce que tu m’entends ? Tu peux m’appeler le Reek.

L’amiral suivit la main du Corbeau qui lui indiquait quelque chose qui venait de s’allumer sous ses pieds, des symboles. Il y avait une flèche, une coupole et… une tour ? Ou peut-être un phallus ? Non, il reconnaissait ce design. La partie longue et plus fine était un vaisseau ou une station spatiale et la partie plus large et courte au bout, circulaire, c’était un vaisseau, qui ressemblait à un modèle corellien. Le vaisseau, c’était peut-être leur échappatoire.

- C’est sûrement une énigme. Si on se trompe, j’imagine qu’on finit comme les autres. Si on la résout, peut-être qu’on sortira d’ici vivants… Je pense que la clé, c’est ce troisième symbole : la station et le vaisseau au bout. Il faut qu’on trouve le vaisseau. Est-ce que tu as des idées ?

Lorsque j'entendis sa voix je me mis à pousser un râle, autant de soulagement que de surprise. Mais les humains avaient vraiment une voix bizarre parfois, à moins que ce ne soit le communicateur qui donnait cette étrange sensation de voix provenant d'outre tombe. Un écho se faisait entendre à chacun de ses mots, et tandis qu'il se présenta, il me donna son avis sur les évènements. Un indice ? Un moyen de sortir ? Avant même de penser à ça, il nous fallait être pragmatique. Trouver une solution, ou un truc dans le genre… Oui, en fait, ça revenait au même. Avant de chercher un moyen de sortir, je dus faire quelque chose dont je me serais bien passé, encore plus devant un inconnu… Secouant mon pelage, faisant voleter de l'eau un peu partout autour de moi, je tentais – en vain – de me sécher. Cette odeur ne me manquait pas… L'avantage d'être dans mon vaisseau, c'était de pouvoir sécher quasi immédiatement grâce aux systèmes intégrés dans la salle d'eau. Je me mis à parler, mais apparemment, ces espèces de montres ne fonctionnaient que dans un seul sens… A moins que… Imitant ce que je l'avais vu faire à travers la paroi translucide, je fini par réussir à activer le système de communication.

- J'espère que tu as raison Reek…

Pas besoin de faire dans la politesse, nous étions tous les deux dans la même embrouille, donc pour les usages, on repassera plus tard ! Tournant les talons, je me mis à fouiller la pièce. Rien de rien, du vide, de l'obscurité, et encore de l'obscurité parfaitement vide. Rien ne semblait pouvoir être utile, ni même utilisé. La paroi était bien trop épaisse pour que je puisse la briser. En fait, nous avions deux choix : primo, attendre que la mort vienne nous chercher, et ce, avec l'effondrement du plafond qui commençait déjà à montrer des signes de faiblesse. Secundo… Les symboles. Pour lui, c'était la solution pour sortir d'ici, moi j'y voyais un rébus ; un de ces jeux auxquels je jouais de temps à autre avec les enfants du Clan. M'approchant de la vitre, mon regard se posa vers le sol opposé, je vis une chose qui ajouta à mes craintes. Les symboles étaient là, mais placés différemment. La flèche indiquait l'opposé, la coupole partait vers le haut, alors que le pied de la mienne était tourné vers la droite, seul le dernier "truc" semblait avoir le même sens.

- Regarde les symboles sur le sol, ce sont les même, mais ils ne sont pas dans le même sens. C'est peut-être trop facile mais… Et si on essayait de les mettre en commun ? Dans le même sens ou… En miroir ? Je te laisse décider. Tout ce qui compte c'est qu'on se barre d'ici en vitesse.

Quelques gouttes commençaient à tomber du plafond, le bruit qu'elles faisaient en percutant le sol me permettait de percevoir le temps qui passait, chaque goutte me faisait entendre les secondes fuyant entre mes pattes. Reek agit, prenant la décision presque instinctivement, l'imitant, j'entendis un craquement sinistre derrière moi, et au vu du bordel qui échappait de la montre, c'était pareil de son côté… La flèche s'alluma alors, le symbole brillait, indiquant une direction. Sans même prendre le temps de réfléchir je me mis à gueuler…

- Cours !

A quatre pattes, sentant le chien mouillé à des kilomètres à la ronde, je fuyais le mur derrière moi qui, d'acier obscur, s'était mué en une vague déferlante. Glissant dans une coursive, une trappe se ferma derrière moi, manquant de m'arracher un morceau de la queue… Pas de circoncision aujourd'hui ! Arrivant en bas, après une chute qui aurait tué n'importe qui, je me retrouvais devant un immense écran éteint. La montre émit un son qui attira mon regard, appuyant nonchalamment dessus, l'écran s'alluma. Mon cœur s'emballa et mon esprit s'embruma, mes muscles se raidirent et je sentis quelque chose que je pensais avoir oublié… La peur s'insinuait dans mon esprit… Une voix résonnait directement dans ma tête…

- Dans les temps où les êtres se déchirent, je né de la désunion et du désarroi, l'être immonde me vois comme un pécheur, mais je suis le soulèvement d'un monde à l'agonie. Impie et impunie, ma volonté serait celle de l'Alpha et non de l'Omega, car je suis le commencement et non la fin. Je suis la liberté, l'espoir, et la fin d'un royaume.

Trois fois, la voix résonna trois fois dans ma tête, résonnant jusqu'à me faire vriller le cerveau. Montrant les crocs, je me remémorais ces paroles sans queue ni tête. Tout du moins en apparence… Une autre vitre apparue alors, éclairant Reek de l'autre côté. Appuyant sur la montre, passant vers le système de communisation interne, je m'adressais à lui.

- Je pense que tu as entendu le même charabia… Une idée ?

Sur l'écran un nouveau chrono se déclencha. Dix minutes… Nous avions dix minutes pour trouver une solution à cette phrase. Plusieurs idées me vinrent alors. Le début, la fin, un royaume, un début mais pas une fin… Et si c'était… La mère de la Liberté… Mon cerveau chauffait et je n'arrivais plus à terminer la phrase…

- Si un jour je devais donner naissance à la Liberté, cette dernière porterait le nom… Merde ! Je ne m'en souviens plus, j'ai entendu ça il y a des années ! Qu'est-ce qui pourrait bien faire trembler un Royaume à ton avis ?