Entretien au fil de l'épée. [PV Lukan Reige]

Posté devant la verrière en transparacier de sa passerelle de commandement, Lukan laissa son regard s’attarder encore quelques instants sur la surface bleutée des océans de son monde natal avant  de tourner les talons. Le Star Dreadnought était stationné aux chantiers navals de Yaga Minor depuis seulement trois jours lorsqu’il avait reçu l’invitation qui se trouvait dans son datapad, et celui-ci y resterait encore pendant une bonne semaine. Voilà pourquoi il quitterait le Chimaera pour utiliser son vaisseau personnel afin de se rendre sur Bastion.

Profitant de la petite heure de maintenance du Katana avant de pouvoir partir, l’amiral Reige avait réuni certains de ses officiers et sous-officiers dans l’une des salles de réunion du Chimaera. Assis autour de la table ovale se trouvaient le capitaine Mylena Kathis qui commandait le Chimaera, le capitaine Karen Sykes qui dirigeait l’escadron Sabre, le lieutenant Walter Stark qui officiait comme garde du corps, le professeur Peter Llwyd et Gilad Wolver, capitaine du destroyer Judicator. La dernière personne assise à la table était le lieutenant Cécilia Madera, officiellement présente pour la logistique du vaisseau mais en réalité représentante de l’Imperial Intelligence à bord du Chimaera.

- Bonjour à tous, merci d’être venus si vite. Je vais être bref, je pars dans une heure pour Bastion à bord du Katana. La Grande Amirale Quizan m’a convoqué à la capitale pour une entrevue qui, semble-t-il, va impliquer un duel d’entraînement à l’épée. En mon absence, le Capitaine Kathis assumera le commandement opérationnel de la flotte avec le capitaine Wolver pour la seconder. Des questions ?

- Plutôt un commentaire , remarqua Gilad avec une expression songeuse. On parle bien de Basca Quizan ? L’officier qui a réussi à tenir en respect un Sith au sabre avant de le flinguer ?

- Tu connais beaucoup d’autres « Basca Quizan » dans la flotte impériale, peut-être ? Le rabroua Mylena en secouant la tête de dépit.

- La Vice-Amirale Quizan est entre temps devenue la Grande Amirale Quizan, en effet , expliqua Lukan avec plus de tact, conscient que son ami de l’académie n’était pas très informé sur tout le gratin de la hiérarchie navale, en particulier au-dessus des amiraux qu’il connaissait.

- Je confirme que la Grande Amirale est presque aussi réputée pour ses prouesses martiales que pour ses victoires militaires, amiral , commenta Walter d’un ton posé avant de se servir une tasse de caf fumant. Vous avez bien fait de poursuivre vos entraînements quotidiens, vous aurez peut-être une chance de lui résister un moment.

- Excusez-moi si je mets les pieds dans le plat mais pourquoi la Grande Amirale, qui siège au Conseil des Moffs qui plus est, voudrait se battre en duel avec l’un de ses amiraux ? Demanda la pilote Karen d’un ton perplexe.

- Il faut voir au-delà du symbole, rétorqua Cécilia d’un ton tranchant. Affronter quelqu’un, c’est aussi le jauger, le déstabiliser et cela peut permettre de mieux cerner quand il dit vrai et quand il ment. A ma connaissance, la Grand Amirale Quizan a laissé beaucoup de liberté d’action à l’amiral Reige, en particulier lorsqu’elle était occupée à discipliner ceux qui lui désobéissaient ou qui n’en faisaient qu’à leur tête. Lukan a toujours accompli ses missions avec distinction et loyauté, c’est comme ça qu’il a grimpé les échelons si rapidement. Ça et le fait d’avoir soutenue le monarque légitime pendant deux coups d’État , ponctua-t-elle sa phrase avant de plonger un biscuit dans sa tasse de chocolat chaud.

- Ne serait-il pas plus prudent que l’un d’entre nous t’accompagne ? Demanda Gilad d’un ton légèrement préoccupé.

- Non. Je suis convoqué par ma supérieure, en plein cœur de l’espace impérial. Je m’y rendrai seulement en compagnie de R9 à bord du Katana. Il m’assistera pour le pilotage et il peut porter un Ysalamiri avec son dispositif nutritif. D’autres remarques ?

Cécilia plongea une main dans sa pochette et en sortit un flacon de spray qu’elle remit à Lukan. Ce dernier le prit avant de hausser un sourcil interrogateur.

- Il s’agit d’un spray pour neutraliser les phéromones Zeltrons, expliqua le lieutenant Madera. Tu as beau avoir une bonne maîtrise de toi-même, elle n’est pas réputée uniquement pour ses talents martiaux et militaires.

- C’est certain que les holos qu’elle a tournés quand elle était jeune sont sacrément chauds… Aïe ! S’exclama Gilad en recevant une tape derrière la tête du capitaine Kathis.

- Avez-vous choisi votre tenue et votre arme, amiral ? Demanda Walter en ignorant la dispute entre les deux capitaines de marine.

- Oui, Walter. Je vais suivre vos conseils et donner mon maximum. J’ai la tenue et l’arme toutes désignées pour cela.

- Et bien, il ne nous reste plus qu’à vous souhaiter bonne chance, amiral ! Si vous pouvez nous obtenir quelque merveille technologique auprès de la Grande Amirale en échange de vos services, n’hésitez pas ! Remarqua le directeur Llwyd avec un sourire.

Une heure plus tard, le transport de classe Aleph quittait le Chimaera et entrait dans l’hyperespace, destination Bastion.

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Ayant laissé au spatioport le Katana et son droïde astromécanicien, Lukan arriva à l’entrée des appartements de la Grande Amirale. Il présenta au personnel son cylindre de commandement ainsi que la lettre d’invitation de l’Amirale Quizan sur son datapad. Ceux-ci lui adressèrent des regards interrogateurs en voyant sa tenue et l’arme qu’il portait au côté mais ils ne firent aucun commentaire.

Pour l’occasion, l’amiral avait revêtu son kimono d’entraînement bleu et blanc qui lui offrait une parfaite liberté de mouvement. Il en avait retiré tous les éléments additionnels qui auraient pu le lester, tant les poids d’entraînement que les protections. Il portait au côté un sabre en songsteel dans son fourreau, héritage de son père biologique, Orson Devis, avec lequel il s’entraînait très régulièrement. C’était l’arme qu’il maîtrisait le mieux, davantage encore que la vibroépée recouverte de cortosis offerte par son père adoptif avec laquelle il s’entraînait également pour ne pas s’habituer à un seul type d’épée.

Traversant l’appartement de son officier supérieur en suivant le droïde majordome, Lukan eut l’occasion d’apercevoir un grand nombre d’œuvres d’art, aussi bien des toiles que des sculptures mais aussi des holo-projections, qui lui rappelèrent quelque peu des descriptions qu’il avait lues des quartiers de feu le Grand Amiral Thrawn. Il observa également a présence de plantes exotiques qui complétaient un intérieur assez personnel et que Reige trouvait de bon goût. Cependant il ne passa pas les différentes portes et fut amené directement jusqu’à un mini turbo-élévateur.

L’élévateur l’amena jusqu’à un bureau aux larges dimensions, meublé avec goût là aussi, tant par des meubles en bois précieux que par d’autres en métal. Il était apparent qu’il ne s’agissait pas que d’une pièce de relaxation puisqu’une table de projection tactique y figurait en bonne place. Il reconnut des symboles échanis et des sculptures qui lui apparurent comme d’origine Zeltronne mais il ne connaissait pas assez leur art pour reconnaître de véritables pièces par rapport à d’habiles contrefaçons. Son regard se posa ensuite sur un portrait de l’impératrice en majesté, qui lui était fidèle. Lorsque le parfum des fleurs lui chatouilla les narines, Lukan repensa au spray anti-phéromones et se l’appliqua à même la peau comme Cécilia le lui avait suggéré. Il aurait besoin de toute sa vivacité d’esprit s’il voulait donner le meilleur de lui-même au combat donc autant ne prendre aucun risque d’être déconcentré.

Après avoir traversé le bureau vide de tout occupant, le droïde majordome le fit entrer dans ce qui devait être la salle d’entraînement. Une seule occupante s’y trouvait, une Zeltronne si on en croyait sa peau d’un rouge rosé et sa chevelure d’un bleu sombre. Elle portait une combinaison courte qui épousait les formes de son corps sans laisser grand-chose à l’imagination mais ce n’est pas le vêtement qui attira l’attention de Lukan. Non, son regard se fixa sur le sabre énergétique qu’elle maniait avec une dextérité indéniable tandis qu’elle pourfendait l’air selon des techniques qu’il essaya d’identifier.

L’amiral prit une posture de salut à l’égard de la Grande Amirale et était sur le point de l’interpeler quand le droïde majordome le coiffa au poteau.

- Grande Amirale, l’amiral Lukan Reige, Baron d’Empire, est arrivé, déclara le droïde avant de tourner les talons et de quitter la pièce.

Le titre n’était pas nécessaire mais il supposait que ce genre de droïde devait avoir le protocole chevillé au corps, pour ne pas dire fusionné dans ses circuits. Lukan garda sa posture de salutation comme le voulait l’usage, tant que sa supérieure ne l’aurait pas salué à son tour ou intimé l’ordre de se mettre au repos.

- Lukan Reige, au rapport, madame, la salua l’amiral avec respect.

Il avait pris coutume de préciser son prénom auprès de ses supérieurs plutôt que son titre puisqu’il y avait techniquement deux amiraux Reige, son oncle Jan et lui-même. L’amiral était curieux de connaître les raisons de cette convocation, outre le duel d’entraînement auquel la Grande Amirale souhaitait se livrer. En tous les cas, s’il pouvait apprendre de nouvelles bottes à son contact, son temps n’aurait certainement pas été perdu.

Lukan changea immédiatement de posture lorsque la Grande Amirale lui ordonna successivement de se mettre au repos puis en garde. Prenant une posture défensive, il dégaina son sabre avec rapidité et parvint à se mettre en garde juste avant que l’épée de l’Amirale Quizan ne le touche. Solide dans sa défense, Reige para ou dévia l’enchaînement de coups rapides de la Zeltronne mais sans contre-attaquer immédiatement. Comme il s’y était attendu, son adversaire prit de la distance avant de se remettre en garde, son regard fixé sur lui.

L’amiral s’avança dans la zone d’entraînement d’un pas volontairement lent, restant à bonne distance de sa supérieure. Il tenait son sabre à deux mains et observait une posture d’attente tandis qu’il écoutait les questions qu’elle choisit de lui poser. Pourquoi était-il ici ? L’officier avait longuement réfléchi là-dessus depuis qu’il avait reçu la convocation. Visiblement, la Grande Amirale ne lui faciliterait pas la tâche. Peut-être que le cheminement de l’esprit était-il d’ailleurs plus important à ses yeux que la réponse ? L’amirale Quizan semblait également suivre la voie du guerrier, à en juger par ses talents martiaux donc cela n’aurait pas été une grande surprise. Dans ce genre de cas, son expérience personnelle lui intimait plutôt de recourir à une certaine franchise, son interlocutrice ne semblant pas être le genre d’officier qui aimait perdre son temps à tourner autour du pot.

- J’ai songé à plusieurs hypothèses, des plus probables aux plus invraisemblables. Si vous me le permettez, je commencerai par privilégier celles qui me semblent les plus pertinentes.

Sur ces mots, Lukan passa à l’attaque. Levant les bras au-dessus de sa tête, il commença par une attaque verticale que l’amirale Quizan para. En miroir de ce qu’avait fait la membre du Conseil des Moffs, il enchaina une série d’attaques rapides, de la droite, puis de la gauche, avant de feindre une nouvelle attaque de la droite pour mieux l’attaquer par le bas. Après avoir rompu l’engagement, il prit à son tour de la distance et plaça de nouveau son sabre dans une posture d’attente.

- Nous nous connaissons relativement peu. J’ai passé une majeure partie de ma carrière dans la flotte de l’amiral Tarvitz jusqu’à mon accession au grade d’amiral. Cette entrevue pourrait être une occasion de mieux me cerner, ainsi que mes aptitudes, de sorte à réévaluer les missions à me confier ou encore pour vous assurer de ma loyauté envers l’Empire.

Reige n’était pas aveugle concernant sa propre situation. Il n’avait pas besoin de sa mère ou de Cécilia pour savoir que son ascension comme ses méthodes en gênaient plus d’un. Lukan n’avait jamais discriminé son personnel sur leur espèce, leur origine ou même leur sexe, choisissant de privilégier chez ses subordonnés l’excellence, la bonne intelligence et la loyauté, tant à l’Empire qu’envers leurs camarades. Au début de sa carrière de capitaine, il avait d’ailleurs eu des interprétations très… libérales du code militaire impérial, qui lui avaient permis de recruter le personnel qui lui manquait sur des mondes reculés de l’Empire. Concernant sa loyauté, il l’avait démontrée à plusieurs reprises, d’abord en empêchant un coup d’État attenté contre l’ancien empereur Hadrien par l’amiral Armand Kaine, le propre parrain de Lukan, puis en venant en aide à l’impératrice Aerys Fel pendant le coup d’État de 1499.

- Les rapports et les dossiers ne disent pas tout, ils peuvent aussi s’avérer contradictoires. J’ai été adopté par une famille parmi les plus loyales à la famille impériale mais mon frère, Galen Reige, a trahi l’Empire en rejoignant la République. Je l’ai découvert en l’affrontant à la bataille de Trenwyth, quatre ans après l’avoir considéré comme mort au combat. De même, mon parrain, feu l’amiral Kaine, a tenté de renverser l’Empereur Hadrien il y a six ans. Une tentative de coup d’État que j’ai aidé à faire échouer. En quatorze ans, je suis passé de capitaine de destroyer Princeps à amiral de la flotte. Je n’ignore pas les rumeurs qui courent à mon sujet et au sujet de mes méthodes.

Lukan repartit à l’assaut, en changeant de style. Cette fois-ci, il feignit d’attaquer avec son sabre à une main pour mieux délivrer un coup de pied latéral. Se rétablissant, il poursuivit par une attaque sur le flanc de son adversaire, lui assénant une puissante frappe latérale de son sabre avant de la contourner par des petits pas rapides pour poursuivre de l’autre côté. Il asséna ensuite un coup vertical, non pas pour toucher la Grande Amirale mais pour la dissuader de contre-attaquer, lui donnant ainsi le temps de s’écarter d’elle et de récupérer.

- Jauger mon caractère, mes aptitudes et ma loyauté est donc une option. Il est également possible que vous ayez une ou des missions en tête qui soient trop sensibles pour être confiées par un envoi holonet ou même par un messager de votre confiance. Sachant que nous nous connaissons peu, ce genre de mission pourrait m’être confiée en guise de test ou bien parce que je me trouve, par ma famille, mon passif ou mes aptitudes, dans une position qui me désignerait comme le choix idéal pour la remplir. S’il s’agit bien d’une mission, il est possible que sa majesté impériale vous ait confié de la faire réaliser par la personne de votre choix, qu’elle m’ait ou non recommandé.

L’amiral égrenait les hypothèses qui lui étaient venues à l’esprit et qu’il considérait comme les plus sérieuses. Une partie de son esprit était cependant occupée à analyser les parades et le style de combat de la Zeltronne. Son père biologique, Orson Devis, lui avait appris tout petit que chaque rencontre et surtout chaque combat était une occasion d’apprendre qu’il ne fallait pas laisser passer. Toutefois, la Grande Amirale lui avait demandé de partager toutes ses hypothèses et il comptait s’exécuter.

- Puisque vous m’avez demandé toutes mes hypothèses, il en existe qui me semblent plus invraisemblables. Cette entrevue dans un cadre privé, éloigné de toute base militaire, pourrait être une tentative de m’intimider, de me corrompre ou encore de m’assassiner. J’inclus les tentatives de séduction dans les deux premières catégories puisque selon le caractère de la personne, il peut s’agir d’établir un rapport de domination ou d’humilier l’autre. Comme je le disais, ces hypothèses me semblent improbables pour les raisons suivantes : en dépit des rumeurs qui ont pu circuler à votre sujet dans votre jeunesse, vos états de service ne laissent aucun doute quant à vos compétences d’officier. A l’instar de ce que je pratique, vous êtes méritocrate et vous exigez la même excellence de vous-même que de vos subordonnés. Pourquoi dans ce cas auriez-vous besoin de méthodes détournées pour obtenir une obéissance et une loyauté qui vous sont déjà acquises ? Quant à m’assassiner, cela ne semble pas être dans vos méthodes mais quand bien même, vous avez l’intelligence et les ressources pour me faire disparaître d’une façon qui ne vous impliquerait en rien, or ce ne serait pas le cas de ce genre de convocation dont à minima, mes subordonnés ont connaissance.

Le Reek, comme le surnommaient certains officiers, considérait avoir dressé un portrait relativement complet des raisons possibles de sa convocation, en tout cas des raisons les plus probables. Il esquissa un léger sourire avant d’énoncer une dernière raison.

- En dernier lieu, vous auriez également pu me convoquer pour vous entraîner à l’épée avec un partenaire que vous ne connaissez pas. Puis-je vous demander en retour si l’une ou certaines de ces hypothèses se rapproche de la vérité ?

Le sourire de la Grande Amirale aurait été désarmant si Lukan y avait accordé plus d’un millième de seconde de son attention. Reige était avant tout plongé dans l’affrontement et le reste de sa concentration portait sur les paroles de sa supérieure. Basca Quizan faisait indubitablement partie des épéistes les plus aguerries qu’il avait eu l’honneur d’affronter et son sang bouillonnait de plus en plus d’excitation. Son style était d’une fluidité déconcertante, le mettant à deux reprises déjà en difficulté mais il n’allait pas s’en plaindre. C’était dans ce genre de duel, qui le poussait jusque dans ses retranchements, qu’il pouvait améliorer son art.

Tout en lui illustrant son maniement du sabre, la Grande Amirale le complimenta avant de lui accorder des éléments de réponse à sa question. Comme il l’avait supposé, ce n’était ni pour l’assassiner, ni pour le corrompre et encore moins pour l’intimider qu’elle l’avait convoqué. Elle était en revanche très observatrice puisqu’elle avait senti le produit dont il s’était imprégné pour contrer l’effet des phéromones zeltronnes. Lukan nota dans un coin de son esprit le conseil judicieux qu’elle lui prodigua concernant le fait de choisir une zone moins exposée pour ne pas que son usage de ce type d’agent neutralisateur soit détecté.

La piste d’une mission se révéla être également une impasse mais elle lui apporta des informations précieuses concernant son appréciation des tentatives de coups d’État ayant visé l’Empereur Hadrien puis l’Impératrice actuelle. Il pouvait tout à fait imaginer comment des hommes ignorants à l’égard du pedigree militaire de la Grande Amirale puissent sous-estimer sa loyauté, en particulier s’ils ne se fiaient qu’aux apparences. L’Amirale Quizan était d’une beauté saisissante, personne n’aurait pu le remettre en question mais son corps, à l’image de son intellect, était avant tout une arme et bien mal avisé aurait été celui qui la sous-estimerait.

Lukan n’avait jamais escompté faire ce genre d’erreur mais même en s’étant physiquement et psychologiquement préparé au mieux à ce duel, il devait bien admettre que sa supérieure le poussait jusqu’aux limites de son art. Parades, esquives, feintes, contre-attaques, l’amiral n’avait pas retenu ses coups, tout comme il avait profité de chaque période de répit de son adversaire non pas pour reprendre son souffle mais pour rendre les assauts à l’envoyeuse. S’il avait appris différentes techniques, notamment auprès des Reige, le style Devis de son père embrassait la voie du guerrier : il ne pouvait pas y avoir de repos avant la victoire ou, le cas échéant, la défaite après avoir tenté tout ce qui était possible.

Voilà pourquoi il était alerte lorsque la Grande Amirale repartit à l’assaut en faisant pleuvoir sur lui une avalanche de coups aussi versatiles que violents. Reige savait qu’il ne pourrait ni esquiver, ni parer la tornade qui arrivait. Lorsqu’on ne pouvait pas résister à la vague, il fallait l’embrasser, faire corps avec elle. En miroir de la Zeltronne, Lukan adopta un enchaînement de mouvements tout aussi imprévisibles avec une idée précise en tête : si la Grande Amirale souhaitait employer une feinte, alors elle devrait s’exposer à son propre déferlement de coups.

Lukan n’avait pas repris la parole mais il n’en avait pas besoin. Sa dernière question était claire : les Echani étaient des guerriers redoutables pour qui le combat représentait à la fois une forme de communication mais aussi une forme d’art. Ce peuple était réputé pour sa croyance dans le fait qu’on ne pouvait véritablement connaître quelqu’un qu’après l’avoir combattu. On disait même qu’ils étaient capables de déchiffrer des émotions au travers d’un affrontement. Elle disait avoir été initiée à l’art Echani donc il n’avait aucun doute sur la nature de sa question. Elle désirait qu’il se donne entièrement dans ce combat et c’était ce qu’il allait faire.

Le moment était arrivé et il sentait à la fois l’ouverture et la feinte chez son opposante. Maîtrisant sa respiration, Lukan s’abandonna complètement à ce combat en recourant à une technique qu’il utilisait peu, en raison de sa dangerosité. Il s’agissait d’un enchaînement de huit coups qui, parfaitement exécuté, se révélait dévastateur et ce d’autant plus par l’illusion d’optique qu’il générait. Ce vent noir de la destruction était une spécialité de la famille Devis, raffinée par des générations de ses ancêtres.

Reige passa à l’attaque à cet instant, enchaînant la série de coups à une telle vitesse qu’ils en devenaient indiscernables à l’œil nu. Sa lame s’entrechoqua avec celle de Basca avec une telle violence que tous deux furent repoussés par la puissance de leurs coups respectifs, faisant chacun deux pas en arrière. Les mains de l’amiral vibraient encore dans les secondes qui suivirent mais elles tenaient fermement son sabre, tandis qu’il reprenait son souffle. Il avait tout mis dans cette attaque, tout son savoir faire mais aussi toute son âme.

Le lieutenant Walter Sykes, qui était l’un de ses partenaires de combat les plus fréquents, lui avait dit qu’il se dégageait de son style un mélange complexe entre sa nature profonde, caractérisée par son courage et sa fidélité à l’Empire et à ses principes, et par la façon dont la vie l’avait forgé par différentes épreuves : la perte de ses parents biologiques, la perte de son premier amour, la trahison subie par des personnes auxquelles il tenait, comme son frère adoptif Galen puis son parrain, l’amiral Kaine. Ses épreuves l’avaient rendu plus fort mais elles l’avaient transformé aussi.

Lukan jugea avoir répondu par les armes à la question de la Grande Amirale, ce pourquoi il choisit ce moment pour la compléter par les mots.

- Voici ma conclusion, madame. Comme le veut l’art martial Echani, je me suis exprimé à travers ma lame pour que vous puissiez mieux me connaître et je pense vous cerner un peu mieux également.

De ce qu’il avait pu discerner au cours de leur duel, la Grande Amirale était aux antipodes du stéréotypes attribués aux Zeltrons d’ordinaire. Pour atteindre ce degré de maîtrise à l’épée, il était nécessaire d’avoir une discipline et une exigence de soi extrêmement rigoureuses. Cela correspondait aux aspects les plus crédibles de sa réputation dont il avait eu vent : elle était aussi exigeante envers son équipage qu’elle l’était envers elle-même.

Elle était aussi très versatile dans ses approches avec un point commun : elle ne laissait rien passer. Sa défense était soit impénétrable soit elle n’offrait l’illusion d’une faille que pour mieux attirer l’adversaire dans un piège. Les rares opportunités que Lukan avait eues dans leur échange n’étaient pas issues de l’Amirale mais des propres occasions que Reige avait essayé de provoquer en la prenant par surprise ou en la submergeant lors de ses assauts.

Si Lukan s’était accordé un peu de temps pour récupérer, il n’avait pas abaissé sa garde ni ne s’était relâché. Il considérait que tant qu’ils se trouvaient dans cette arène, le combat pouvait reprendre à chaque instant. Toutefois, il souhaitait profiter de ce court répit pour répondre à ses autres commentaires et conseils.

- Je vous remercie pour vos compliments. Si je puis me permettre, cela faisait un certain temps que je n’avais pas été autant poussé à ce point dans mes retranchements. A partir de nos échanges de coups jusqu’ici, je pense que je perdrai ce duel s’il se prolonge trop longtemps. Je peux mener des combats sur la durée mais mon style de prédilection est basé sur des frappes létales ou incapacitantes. Je suis également initié à des formes d’escrime plus propres à la compétition et donc à des échanges longs mais pas à un niveau qui me permettrait de vous tenir tête. Mes entrainements quotidiens portent principalement sur des affrontements face à de multiples adversaires, en majeure partie des droïdes et pour partie d’êtres sensitifs, qu’il s’agit de mettre hors de combat sans se laisser déborder.

Le style Devis avait été développé par des soldats pour la guerre et notamment dans des situations où les blasters sont incommodants ou insuffisants : infiltration, assassinat, guérilla, etc. Son père adoptif, le Moff Reige, lui avait enseigné un autre style de combat à l’épée, avec lequel Lukan commençait à être à l’aise mais son style d’excellence serait toujours celui qu’il avait appris à l’époque où il commençait à marcher.

- Si cela peut vous éclairer sur mon état d’esprit, je ne considère pas que votre tenue soit une tentative de séduction. Je sais que l’art Echani, notamment au cours des duels, décourage tout ce qui peut être considéré comme restreignant les mouvements, telles que les armures ou les vêtements trop encombrants. Je plaide volontiers coupable pour l’usage d’un spray neutralisant les phéromones zeltronnes, je ne souhaitais pas être distrait pendant notre duel. Je suivrai votre conseil pour ce qui est de l’utiliser de façon plus discrète à l’avenir. Je n’aurai pas l’outrecuidance de me prétendre complètement indifférent à vos charmes, ce serait un mensonge bien facile à percer mais ce ne sont plus des distractions lorsque je me bats. Je pense que comme vous, une fois que je suis dans l’état d’esprit du guerrier, mes sens sont uniquement concentrés sur le combat : comment bougent vos bras, vos jambes, votre épée, d’où viendra le prochain coup, la prochaine feinte. Vos formes, votre fragrance, votre voix n’existent plus que comme de vagues extensions de l’arme que vous êtes et que je dois vaincre.

Il ne savait que trop bien que la beauté était une arme redoutable. Quand sa mère biologique, Natasi Devis, était réapparue bien vivante il y a quelques années, elle lui avait expliqué les conditions de sa naissance. Elle avait séduit son père dans le cadre de sa mission et la venue au monde de Lukan, bien que désirée, n’était quelque part qu’une incidence secondaire de cette mission pour l’Imperial Intelligence.

Reige n’avait pas rebondi sur les propos de la Grande Amirale par rapport à la façon dont elle s’y prendrait pour l’assassiner si le besoin s’en faisait sentir, d’un côté parce que c’était évident mais aussi d’un autre côté parce qu’il approuvait tout à fait la façon discrète et utilitariste qu’elle avait proposé. Un Star Dreadnought de classe Legatus était une ressource précieuse pour l’Empire et il aurait été très dommage de le détruire pour se débarrasser d’un seul homme. Il appréciait également sa franchise dans leurs échanges verbaux, ce pourquoi il ne comptait pas s’en plaindre non plus. Il n’était pas de ces officiers qui attendaient à ce qu’on leur parle avec déférence en permanence, en particulier lorsqu’il s’agissait d’une occasion informelle comme celle-ci. C’était un gain de temps et de clarté dans la communication.

- Je dirais que j’étais au bon endroit au bon moment mais ce n’était pas toujours le fruit du hasard. Des contacts dans le Renseignement impérial qui m’ont prévenu de l’assaut de l’Amiral Kaine contre sa majesté le défunt Empereur, parce qu’ils avaient conscience de ma loyauté et parce que j’étais en position d’agir rapidement. Je pense que ce précédent a pesé pour que je sois mis dans la confidence par la Régente parmi quelques autres pour soutenir la princesse Aerys avant son accession au Trône impérial. Il est possible que vous ayez été écartée pour les raisons que vous évoquiez ou parce qu’il n’y avait pas de consensus à votre endroit. J’ai conscience que certains Moffs ont moins d’appréciation pour vos compétences que l’amirauté.

Il s’agissait d’une manière polie mais claire d’indiquer qu’une partie des politiciens affichaient toujours des préjugés voire de la xénophobie purement et simplement envers les citoyens non-humains de l’Empire. Lukan n’approuvait pas ces comportements et il agissait à son échelle pour ne pas que les forces placées sous ses ordres ne les propagent. C’était d’ailleurs devenu un critère de sélection dans sa flotte dont ses officiers avaient bien conscience. L’espèce, le sexe, le statut ou le système d’origine d’une personne ne devaient pas entrer en ligne de compte autrement que pour des aménagements pratiques soit en termes d’équipements, soit en termes de formation.

- Nous pouvons poursuivre ce duel si vous le souhaitez. J’étais sincère lorsque je vous disais que je pense le perdre sur la durée mais je suis en mesure de tenir encore un certain temps avant de perdre le rythme. Si vous me le permettez, j’aimerais aussi profiter de cette entrevue pour discuter avec vous d’autres sujets ayant attrait à la flotte impériale. Il y a des limites à ce que je peux mettre en place de ma propre initiative et vous avez une expérience plus longue que la mienne, vos conseils me seraient précieux.

Plus jeune, Lukan avait dû se livrer à des interprétations créatives du code militaire impérial pour trouver les ressources humaines qui lui faisaient défaut. Si son rang actuel lui épargnait ce genre de pirouettes, il voulait améliorer le fonctionnement de la flotte impériale et son efficacité. Cela demandait à la fois des avancées technologiques mais aussi une meilleure formation et gestion de leur personnel. L’amiral Reige ne voulait pas simplement que la flotte de l’Empire soit la meilleure de la Galaxie, il désirait que chacune de ses flottes, de ses escadrilles, chaque vaisseau, soit meilleur que ceux d’en face.

Lukan croyait s’être préparé mais lorsque la Zeltronne l’attaqua à son tour avec une déferlante de coups rapides et précis, tout ce qu’il put faire ce fut de se défendre, parant, déviant les coups adverses tout en s’y donnant corps et âme. Ils avaient terminé leur dernière passe d’armes sur une note aiguë, qui les avait repoussés une fois encore avec une force qui l’aurait renversé s’il n’avait pas été bien arqué sur ses jambes.

La Grande Amirale lui indiqua qu’elle lui avait rendu la pareille en mettant tout dans son propre coup. Lorsqu’elle leva sa lame en guide de salut, il l’imita avant de s’incliner, en signe de respect, comme son défunt père le lui avait enseigné. Tandis que l’Amirale Quizan raccrochait son arme sur son râtelier, Lukan rangea la sienne dans son fourreau. Il attrapa ensuite au vol la serviette-éponge lancée par Basca et la remercia d’un signe de tête avant de l’utiliser pour essuyer la sueur sur son visage et dans son cou.

L’amiral réfléchit aux paroles de sa supérieure concernant les Zeltrons et l’Empire. Elle était la preuve en chair et en os que la mission impériale avait du sens et il en trouva un certain réconfort. En effet, son amie d’enfance et premier amour, Elena Kaine, croyait aussi en cette mission et l’avait servie avec conviction avant de trouver la mort de façon tragique. L’amirale Quizan illustrait le fait que la méritocratie impériale était vivace en dépit des préjugés voire même des discriminations criantes que pouvaient appliquer certaines élites impériales encore aujourd’hui.

Il suivit Basca jusqu’à une autre partie de la pièce où se trouvaient des sièges et une table. La Grande Amirale sortit également ce qui ressemblait à un buffet composé de pâtisseries. Sur l’invitation de sa supérieure, Lukan se servit à son tour, prenant différentes petites pâtisseries et une part de chocolat noir également. Il regarda le choix de thé et sélectionna celui qui lui paraissait le plus approprié, avant de le mettre à infuser puis de s’asseoir à son tour.

L’amiral accepta la générosité et les compliments de la Grande Amirale avec un sourire aimable tout en goûtant une première pâtisserie qu’il trouva délicieuse. Pas trop sucrée mais avec un goût qui explosait de différentes saveurs sous le palais, il nota pour lui-même de lui demander ultérieurement où elle se les était procurées. Le Moff Reige avait souvent d’excellentes pâtisseries à sa table mais il n’avait pas le souvenir d’une telle saveur. Le connaissant, celui-ci ne manquerait pas d’être intéressé par un fournisseur de cette qualité pour ses propres réceptions.

- Je dirais que ça vient de mes parents, biologiques je veux dire. Tous deux avaient leurs armes. Mon père m’a mis une épée en main très tôt et ma mère m’a enseigné que le savoir était une forme d’arme différente. Elle m’a appris à m’intéresser à d’autres cultures et à être curieux, sur tout sujet, de sorte à pouvoir comprendre les gens comme les situations. Les Echani en sont une, les Zeltrons une autre. C’est comme ça que je sais que les Zeltrons produisent de formidables guerriers, en dépit du fait que cet attribut ne fasse pas partie des stéréotypes les plus répandus à leur sujet. C’est aussi pour ça que je suis à l’aise pour recruter et encadrer des personnes issues d’espèces et de cultures différentes, en dépit du fait que ce soit peu voire pas enseigné dans la doctrine impériale.

L’impérial marqua une pause, le temps de verser le thé brûlant dans sa tasse et d’en admirer la couleur ambrée. Les effluves du liquide étaient agréables et d’autant plus apaisantes après une séance d’exercice comme celle à laquelle ils venaient de se livrer.

- L’honnêteté est souvent considérée comme une faiblesse dans les cercles politiques de l’Empire mais heureusement, je ne me prédestine pas à une carrière politique. En revanche, j’ai toujours trouvé que c’était un trait indispensable pour tisser des liens de confiance avec mes camarades, mes subordonnés et, dans une certaine mesure, avec mes supérieurs. Je dois noter que j’ai joué de bonheur dans mes affectations, l’amiral Tarvitz appréciait également cette qualité parmi ses subordonnés. D’autres officiers supérieurs que lui m’auraient peut-être jugé d’un œil moins favorable.

Il dégusta une bouchée d’une autre pâtisserie, la trouvant tout aussi délicieuse que la première mais avec des saveurs complètement différentes. L’amiral porta ensuite sa tasse à ses lèvres et apprécia le thé qui se mariait très agréablement avec le goût sucré dans sa bouche. Il porta son regard sur son interlocutrice lorsque celle-ci l’invita à aborder les sujets qu’il avait effleuré un peu plus tôt. Lukan esquissa un sourire à son tour lorsque sa supérieure l’invita à s’adresser à elle par son prénom en privé.

- Merci… Basca. Je risque de mettre un peu de temps à m’y habituer. Je souhaitais en effet discuter avec vous de l’état de la flotte, de la réglementation en vigueur et des pratiques. Vous m’avez invité à être honnête donc je me garderai de tourner autour du pot ou de recourir à un langage diplomatique auquel j’aurais recouru avec des représentants de la sphère politique.

Lukan s’accorda un instant de réflexion pour revoir sa formulation, tout en faisant tourner le thé ambré dans sa tasse. Il était rare qu’un subordonné se plaigne ouvertement à son supérieur, surtout s’il souhaitait être maintenu dans ses fonctions voire promu à ses fonctions plus importantes. Certains officiers l’acceptaient en privé, comme l’Amiral Tarvitz ou son oncle Jan et, il le croyait, c’était également le cas de la Grande Amiral. Il la fixa donc de ses yeux émeraude avec sérieux lorsqu’il reprit la parole.

- La flotte de l’Empire est puissante, tant par ses vaisseaux imposants que par sa discipline. Elle a appris des erreurs de ses débuts grâce à des officiers d’exception comme le Grand Amiral Thrawn ou le Commandant Suprême Pellaeon de sorte à évoluer, à se moderniser. Elle n’a pas à rougir face aux flottes de la République et du Consortium mais mon analyse est la suivante : si elle n’évolue pas davantage et plus profondément encore, elle sera tôt ou tard dépassée par ses homologues. La méritocratie impériale est encore vivace mais moins qu’elle pourrait l’être. Je n’ai pas de solution toute trouvée mais plutôt des pistes que je voulais vous proposer de considérer avec le reste de l’État-major de la flotte.

Reige fit une courte pause, le temps de se désaltérer avec une gorgée de thé avant d’exposer ses idées plus en détail.

- La première piste est le recrutement. Nous avons des talents insoupçonnés dans des mondes de l’Empire assez en retrait, que ce soit des personnes de différentes espèces ou de différentes cultures. Les ressources de l’Empire ne sont pas infinies mais les vaisseaux de la flotte pourraient organiser des recrutements ad hoc lors de leurs patrouilles en envoyant des sous-officiers et des formateurs pour recenser les jeunes citoyens intéressés par les métiers de la flotte, aussi bien relevant du combat que des fonctions support. Nous avons autant besoin d’ingénieurs et de techniciens que de pilotes, d’enseignes et d’officiers. Je propose cette méthode parce que j’y ai moi-même reconnu, comme me le permettait mon interprétation du règlement, lorsqu’il m’était nécessaire de compléter les effectifs de mon premier bâtiment, le destroyer Princeps Bloodfin.

Lukan avait conscience que si le fait d’ordonner ce genre de recrutement était relativement simple en soi et ne nécessitait que peu d’aménagements dans les pratiques opérationnelles, sa mise en œuvre rencontrerait des obstacles idéologiques chez les officiers xénophobes ou ceux méprisant les populations autochtones de mondes éloignés des grandes voies hyperspatiales. Pour autant, cela ne signifiait pas que l’idée ne devait pas être expérimentée.

- La seconde piste concerne l’innovation. Nous avons des vaisseaux performants produits par les chantiers navals de Kuat, que ce soit les chasseurs TIE, les frégates, les destroyers ou encore les Star dreagnoughts. Toutefois, c’est un secret de polichinelle que le Consortium fait des bonds de géant en matière d’intelligence artificielle. Je suggérerais de mettre en compétition les différents chantiers navals de l’Empire, comme ceux de ma Yaga Minor natale, pour développer des vaisseaux encore plus versatiles et performants, et de faire de même pour les développeurs et ingénieurs informatiques. Je ne suis pas en train de suggérer de laisser le commandement de nos vaisseaux à des IA mais bien de développer les défenses et contre-mesures les plus avancées possibles face aux tentatives de hacking de bâtiments adverses.

Échaudé par l’affrontement compliqué qu’il avait livré dans le système de Gravlex Med face à une flottille du Consortium une décennie plus tôt, Reige s’était toujours tenu au courant des batailles et même des escarmouches qui avaient opposées des forces impériales à des vaisseaux du Consortium. Les Sith avaient de longue date développé des cyborgs très avancés, en témoignait l’un de ceux qui protégeait leur Reine Éternelle comme son ombre mais il apparaissait que leurs flottes s’étaient également équipées de technologies similaires dans leurs systèmes, ce qui représentait une menace mais peut-être aussi une opportunité.
La dernière proposition serait peut-être la plus difficile à considérer mais l’amiral avait promis l’honnêteté et sur son honneur, c’est ce qu’il apporterait à cette discussion.

- La dernière piste qui m’est venue à l’esprit concerne une ressource qui nous fait défaut par rapport aux autres régimes galactiques : des contre-mesures par rapport aux Jedi et aux Sith. Leurs pouvoirs sont des menaces à plus d’un titre, que ce soit leurs capacités au combat mais aussi les facultés de certains d’entre eux à affecter des personnes voire des bâtiments sur de larges distances. Je suggérerais deux notions non incompatibles à explorer : la première consisterait à déployer davantage de chevaliers impériaux à bord des bâtiments de la flotte, en particulier ceux affectés à des missions frontalières, et à les entrainer à travailler de concert avec les équipages et les troupes embarquées. La seconde idée serait de se procurer une quantité importante d’Ysalamari pour créer des bulles anti-Force aux endroits stratégiques des bâtiments de l’Empire. Nous ne possédons que peu de ces petites créatures, notamment parce qu’on ne les trouve que sur la planète Myrkr, dans l’espace du Consortium. Je suggérerais de trouver un moyen de les faire se reproduire ou de les cloner dans des infrastructures impériales pour démultiplier le nombre de créatures disponibles. Comme vous le savez peut-être, je dispose d’un nombre restreint de spécimens que j’ai disposé sur le pont de mon vaisseau amiral, le Chimaera.

La tâche était ardue mais si elle pouvait éviter à un utilisateur de la Force d’étrangler à distance le commandant d’un vaisseau ou encore de plonger un équipage tout entier dans la plus profonde terreur, Lukan considérerait que cela en valait la chandelle. Telles étaient les pistes qu’il avait voulu porter à l’attention de la Grande Amirale mais qu’il n’aurait guère pu lui exprimer dans un rapport écrit qui aurait pu être intercepté par des factions qui l’auraient utilisé contre Reige. L’amiral n’avait jamais fait mystère de ses opinions en manière de méritocratie et de pragmatisme mais il avait également conscience que ses propositions étaient radicales.

- Qu’en pensez-vous, Basca ? Est-ce que certaines de ces idées vous semblent intéressantes ? Et surtout, réalisables ?

Reige n’ignorait pas que la Grande Amirale n’était pas la seule décisionnaire dans la machine administrative de l’Empire mais elle présidait au Conseil des Moffs et à ce titre, elle était sans doute en mesure de juger si elle pourrait faire passer tout ou partie de ces propositions si d’aventure, elle les jugeait pertinentes.

Lukan acquiesça lorsque la Grande Amirale lui indiqua qu’il avait su cultiver les traits que ses parents avaient instillé en lui. Il était vrai qu’il aurait tout aussi bien pu s’en affranchir. Il avait voulu honorer leur mémoire, puisqu’il les avait cru morts tous les deux pendant longtemps avant de découvrir que sa mère avait survécu sous une autre identité. Il grimaça intérieurement lorsque Basca lui expliqua que la politique n’était pas nécessairement aussi éloignée de ses responsabilités actuelles qu’il l’aurait souhaité.

- J’en ai conscience. Le Moff Reige m’en parle depuis l’époque de mon adoption. Je sais que par ma famille d’adoption et par mes responsabilités dans la flotte, penser échapper aux jeux politiques est illusoire. Toutefois, je préfère qu’il s’agisse d’une tâche accessoire à mes responsabilités plutôt que l’essentiel de mon quotidien. J’ai participé à mon lot de réceptions et autres banquets pour ne pas froisser tel Moff et pour sécuriser tel budget pour la flotte.

Reige imaginait volontiers que c’était une situation que l’Amirale Quizan connaissait bien mieux que lui, à la fois de par ses responsabilités auprès du Conseil des Moffs ainsi qu’au regard de son entreprise. L’amiral profita de la pause dans la conversation pour se resservir en pâtisseries et pour déguster son thé, qui offrait un arôme quelque peu différent après avoir été réinfusé.
Il accorda toute son attention aux paroles de Bascan et prépara mentalement les réponses aux questions mais aussi aux éléments de blocage auxquels il n’avait pas nécessairement pensé. L’amiral esquissa un sourire lorsque sa supérieure indiqua qu’elle était à la fois intéressée et perplexe à l’écoute de ses propositions.

- J’ai souvent cet effet-là, Basca. En tout cas, mes subordonnés expriment les mêmes ressentis lorsque je leur présente des plans peu… orthodoxes. Concernant le rapport détaillé de mes démarches en matière de recrutement, j’en ai qui sont déjà prêts relatifs aux campagnes de recrutement de ces dix dernières années. Je pense que les expérimentations sont reproductibles et que certains facteurs de succès pourraient vous intéresser. En particulier, le recrutement s’est retrouvé facilité sur les mondes qui avaient été au contact de la mission impériale, ainsi que lors de campagne ayant mis en avant des marins et officiers de la flotte aux profils diversifiés, en termes de postes, d’origines, d’espèce aussi. « Si ce technicien Twi’lek a pu devenir contre-maître, pourquoi pas moi ? » Résuma-t-il en substance. Nous avons d’ailleurs fait des sondages anonymisés auprès des nouvelles recrues, respectivement un mois, un an puis cinq ans après leur arrivée dans la flotte.

L’influence de sa mère mais aussi celle de son frère adoptif n’étaient pas pour rien dans cette approche. Sa mère avait coutume de dire que les relations avec les gens étaient comme des plantes qu’il fallait nourrir, arroser, de sorte à leur permettre de croitre. Quant à Galen, il se plaisait à affirmer que le succès dans toute chose était mesurable, dès l’instant où on mettait en place les bons indicateurs. Lukan surveillait le moral sur ses bâtiments, en consultant ses officiers bien sûr mais aussi les sous-officiers, plus proches de leurs matelots. Même à l’époque où il n’était qu’un simple capitaine de destroyer stellaire, Reige prenait déjà soin à s’assurer que son équipage fonctionnait bien et que les nouvelles recrues étaient bien intégrées.

La Grande Amirale avait raison en indiquant que l’innovation était une démarche laborieuse.

- Il est certain que ça prendrait du temps mais lancer la rédaction du cahier des charges et solliciter les universités, les chantiers navals, toutes les ressources scientifiques et d’ingénierie de l’Empire pourrait nous permettre de combler progressivement ce retard et à minima de développer des défenses. Les budgets pour ces projets étant sûrement importants, les entreprises seraient d’autant plus encouragées à relever le défi et à être les premières à proposer des solutions. Le plus compliqué, et vous l’avez souligné, c’est d’avoir un cahier des charges qui tienne suffisamment la route pour s’assurer que les solutions sont efficaces et à la hauteur des enjeux. Je pense que Yaga Minor a des pistes à ce sujet, je pourrais vous mettre en relation avec mes contacts des chantiers navals si vous le souhaitez.

Lukan était tout particulièrement intéressé par l’analyse de Basca concernant sa dernière proposition. L’aspect politique des Chevaliers impériaux était indéniable, il était bien placé pour le savoir. Il dévora méthodiquement l’une des pâtisseries au chocolat tout en écoutant son raisonnement, alimentant son organisme en énergie avant de faire glisser tout cela par une gorgée de thé, qui se mariait à merveille avec le chocolat. Il s’essuya les lèvres discrètement avec sa serviette avant de joindre ses mains paume contre paume.

- Je vais commencer par votre dernière question. Je ne peux pas dire que la flotte soit le point faible de l’Empire. A mes yeux, elle en est plutôt la force. Pour autant, j’ai conscience que ce jugement n’est pas objectif. Si je vous parle de la flotte, c’est parce que c’est ce que je connais le mieux. J’ai des contacts avec les forces terrestres mais l’Imperial Intelligence est une boîte noire. Quant à l’Ascendance Chiss, c’est en bonne partie un mystère. Je ne sais pas comment les améliorer et s’il faut les améliorer. Il faudrait quelqu’un qui ait une vision d’ensemble sur les différents corps. En dehors du Conseil des Moffs voire de sa majesté impériale, je ne sais pas qui pourrait avoir cette vision.

Reige ne comptait pas faire de préconisations sur des sujets qui le dépassaient, ni masquer ses propres angles morts. Il était un homme de la flotte et il travaillait en bonne intelligence avec les forces terrestres la plupart du temps. Les Renseignements avaient leurs propres protocoles, leur propre chaîne de commandement et leur propre façon de s’immiscer dans le fonctionnement de la flotte quand ça les arrangeait. Il était bien placé pour le savoir puisque sa naissance résultait d’une mission d’infiltration de l’Imperial Intelligence dans le cercle rapproché d’un amiral de l’Empire. Cela ne signifiait pas que sa mère l’ait mis dans les petits papiers du BSI pour autant.

Il restait désormais le cœur des deux sujets épineux à développer : les chevaliers impériaux d’un côté et les Ysalamiri de l’autre.

- Je n’ai eu que peu d’interactions avec les chevaliers impériaux. Je les ai vus en action à l’époque de la tentative de coup d’État de l’amiral Kaine contre l’Empereur Hadrien. Ils ont été d’un grand secours ce jour-là, tant en tant que pilotes de chasseurs stellaires que pour coordonner l’action de certains vaisseaux de guerre. Si d’aventure une expérimentation était mise en place, je me porterais volontaire pour en accueillir à bord de ma flotte, à deux conditions : une définition claire et précise des responsabilités de chacun, incluant le rapport hiérarchique, et une possibilité de le ou les rencontrer avant de décider de l’affectation. Outre leurs facultés dans la Force, les chevaliers impériaux sont des femmes et des hommes de l’Empire comme les autres, avec leur bagage émotionnel et leur caractère. Je ne peux pas me prononcer sur les répercussions politiques de leur inclusion dans la flotte, je peux seulement réitérer que sans eux, nous faisons face à des adversaires qui peuvent utiliser la Force pour détruire des bâtiments, étrangler des personnes, voire déclencher des tempêtes cataclysmiques dans l’espace. Peut-être que la République et les Jedi sont encore assez en tension pour que ce risque soit minime mais la cheffe d’État du Consortium est Sith et nous avons déjà vu leurs dames et seigneurs à l’œuvre à bord de vaisseaux de guerre.

Lukan n’avait pas toutes les réponses mais il lui apparaissait clairement que l’Empire avait un handicap par rapport à ses deux régimes concurrents au regard de la Force. L’impératrice utilisait la Force et ses chevaliers impériaux aussi mais comme l’avait souligné la Grande Amirale, les amiraux et leurs officiers recouraient rarement à leurs services pour des questions d’ego mais aussi de confiance, voire de clarté hiérarchique. Contrairement aux Jedi, les chevaliers impériaux étaient entraînés pour être très polyvalents, pouvant servir de garde du corps bien sûr mais aussi de pilotes, de soldats, d’officiers de commandement… allant jusqu’à prétendre aux mêmes prérogatives qu’un officier supérieur de la flotte mais en ne rendant des comptes qu’à sa propre hiérarchie et, in fine, à sa majesté impériale.

- Les Ysalamiri représenteraient un budget colossal s’il fallait les cloner à grande échelle, c’est vrai. Le problème de la rareté de la ressource existe pour eux comme pour les chevaliers impériaux. Même si nous n’avions pas les problématiques politiques que vous avez évoquées, nous n’avons pas assez de chevaliers pour en affecter à chaque bâtiment de la flotte. De même, nous n’avons pas assez d’Ysalamiri pour en disposer sur tous les vaisseaux non plus, même si nous avions Myrkr sous notre contrôle. Ces créatures ne seraient toutefois pas utiles que dans une optique défensive. Elles représentent un camouflage par rapport à la Force. Imaginez ce que nous pourrions accomplir en disposant quelques Ysalamiri à bord d’une navette furtive pour des missions d’espionnage ou de destruction ciblée. Je peux me tromper mais l’Imperial Intelligence mettrait peut-être la main au porte-monnaie s’ils avaient la primeur de certains usages de ce type. Les possibilités sont similaires pour un escadron de chasseurs furtifs. Douze Ysalamiri suffiraient à rendre un escadron invisible dans la Force ou à défaut, très difficilement détectable puisqu’il faudrait que les utilisateurs de la Force détectent le « vide », l’anomalie dans l’espace. Bien évidemment, il n’y aurait pas d’Ysalamiri ou très peu sur des bâtiments ayant des chevaliers impériaux mais ces créatures pourraient être un palliatif et une ressource pour des flottes qui ne disposent pas de chevaliers impériaux. Voilà en quoi je considérais les deux solutions comme étant plutôt complémentaires. Cela dit, vous avez soulevé un point important. Si nous devions explorer l’une ou l’autre de ces solutions, voire les deux, cela signifierait de développer des tactiques et des stratégies permettant de les exploiter au mieux.

Lukan n’avait sans doute que trop parlé, ce pourquoi il but un verre d’eau tout entier. La flotte impériale lui tenait à cœur. Elle avait souffert au cours de son histoire, parfois de sa rigidité contre l’Alliance Rebelle, ou de sa relative faiblesse technologique face aux Yuuzhan Vong. La flotte lui apparaissait forte, c’était vrai mais cette Galaxie reposait sur une optique d’évoluer ou mourir. S’ils entamaient un processus d’évolution profond, même lent, celui-ci porterait tôt ou tard ses fruits. Dans le cas contraire, ils devraient se contenter d’espérer que leur puissance et leur discipline suffiraient à faire face à ce que l’ennemi pourrait leur envoyer. Reige n’aimait pas se reposer sur la chance, c’était une alliée trop aléatoire.

- Si je puis me permettre un dernier développement, ces propositions ne représentent pas une remise en cause de votre leadership ou de l’état de fonctionnement de la flotte. Si je vous présente ces scénarios, ces pistes, c’est parce que vous êtes une force réformatrice dans l’Empire et que vous n’en avez jamais fait mystère, en particulier face à certains Moffs qui pensent que rien ne devrait changer depuis l’époque du premier empereur Fel. Je pense que l’Empire est le régime le plus efficace de ceux qui existent aujourd’hui et je veux le voir perdurer et prospérer. A cette fin, je crois que nous pouvons optimiser l’usage de ses ressources : ses talents et son savoir-faire en particulier. Pour autant, tout amiral que je sois devenu, et en dépit des nombreux subordonnés compétents à mon service, je reste un homme qui a encore beaucoup à apprendre et qui se remet en question. Je vous présente ces idées et je me conformerai à votre jugement. Je ne compte pas vous contourner ou vous court-circuiter si vous veniez à rejeter tout ou partie d’entre elles. Affaiblir la chaîne de commandement, même pour les meilleures raisons du monde, c’est toujours une erreur et ce n’est pas une erreur que je tiens à commettre.

Lukan avait mis toutes ses cartes sur la table. Il avait promis l’honnêteté, tant un sabre à la main que lors de leur discussion et il s’y était tenu. Cet échange n’était pas un jeu politique pour l’amiral même s’il savait qu’il pourrait avoir des répercussions dans la sphère politique selon les décisions que prendrait la Grande Amirale, ne serait-ce que par rapport au recrutement ou à l’innovation, sans parler des chevaliers impériaux qui seraient du ressort de l’impératrice elle-même. Reige s’était aussi fait une opinion de sa supérieure pendant leur duel d’entraînement et il considérait que cette chance de lui parler serait manquée s’il n’en profitait pas pour lui exposer ses vues sur la flotte. D’autres officiers se seraient contentés de s’attirer ses bonnes grâces dans une optique d’avancement mais l’amiral était déjà largement content de sa carrière et de la reconnaissance qu’il avait reçue. Il ne briguait pas les fonctions de Basca et encore moins une place de Grand Moff. Tant qu’il pourrait continuer à servir comme amiral de la flotte, il serait tout à fait satisfait de son sort.

Ils se trouvaient géographiquement au cœur battant de l’Empire mais Basca représentait également le cœur du réacteur de la flotte impériale. Le fait qu’elle semble intéressée par ses suggestions pouvait avoir des conséquences sur son fonctionnement et son évolution. La Grande Amirale était à la fois une stratège et une politicienne de haute voltige, personne de censé n’en aurait douté, mais elle ne pouvait pas tout imaginer, ni tout faire toute seule. Lukan espérait apporter une pierre à l’édifice tout en étant conscient qu’il existait sans doute des considérations et des obstacles qui dépassaient sa compréhension, en tant qu’amiral.

Pour l’heure, Basca semblait s’intéresser à ses méthodes de recrutement et Reige nota intérieurement de lui envoyer ses rapports à ce sujet dès l’instant où il serait de retour à bord du Chimaera. Il s’agissait peut-être de la problématique la plus simple de toutes celles qu’ils avaient évoquées, ou tout du moins de celle qui présentait déjà des pistes de solutions.

- Je vous les enverrai sans doute dès mon retour à bord de mon vaisseau, Grande Amirale. Si vous souhaitez également que certains de mes gens forment les recruteurs d’autres flottes, cela va sans dire qu’ils sont à votre entière disposition. Ma seule requête consiste à pouvoir les récupérer ensuite à mon service, termina-t-il sur une note plus légère.

La problématique des contre-mesures était plus épineuse mais ils semblaient d’accord sur l’importance du cahier des charges. Le risque de partir sur une mauvaise trajectoire était on ne peut plus réel et les guerres d’orgueil entre industriels impériaux représentaient autant un danger pour eux que les menaces extérieures à l’Empire. Lukan but une gorgée de thé avant de prendre la parole pour lui répondre.

- Je vous transmettrai ces contacts sur Yaga Minor. Concernant le risque que vous avez soulevé, il est tout à fait réel. Nous aurions besoin d’une équipe scientifique indépendante, directement employée par la flotte, pour trier le bon grain de l’ivraie. Ce n’est que mon opinion personnelle mais je pense qu’afin de concevoir ce cahier des charges du mieux possible, l’aspect le plus essentiel réside dans notre connaissance de la technologie du Consortium. Nous avons une idée très générale de leur IA mais plus nous disposerons de hardware et de software récents et en bon état du Consortium, plus nous pourrons vérifier que nous allons dans la bonne direction. Je n’ai pas trouvé grand-chose dans la base de données de la flotte mais j’imagine que si nous disposons de ce type d’informations, elles doivent être hautement classifiées. Si nous n’en avons pas, cela veut dire qu’il faut en obtenir. Dans les deux cas, l’Imperial Intelligence apparaît comme un acteur incontournable.

L’Imperial Intelligence ne dépendait pas de la flotte. Les renseignements impériaux avaient un Moff à leur tête et ses seuls supérieurs étaient le Grand Moff et l’Impératrice elle-même. Si Basca jugeait une coopération nécessaire avec le Bureau de Recherche et Développement de l’Imperial Intelligence alors il faudrait impliquer directement Sa Majesté Impériale. Même si l’Impératrice elle-même donnait son aval, la coopération interbranches ne serait pas de tout repos.

Lukan avait délaissé les pâtisseries pour le moment, savourant à la fois l’arôme et la douce chaleur que lui procurait le breuvage tout en écoutant attentivement l’analyse de Basca au sujet des Chevaliers impériaux. L’amiral était bien évidemment volontaire pour cette expérimentation, il aurait bien été le dernier des hypocrites s’il avait prononcé une réforme qu’il aurait refusé d’appliquer lui-même. Il était pour autant conscient que la cohabitation à bord d’une même flotte et surtout à bord d’un même vaisseau pourrait engendrer des défis à surmonter en termes d’organisation et, il fallait le reconnaître, de préjugés. Il choisit de partager une réflexion qui lui était venue au fil de la discussion.

- Je ne peux qu’imaginer comme un chevalier impérial réagirait en présence d’un Ysalamiri, surtout si c’est une première fois. Je suppose que ce serait pour eux comme de perdre un sens, une expérience déstabilisante. C’est en tout cas ce que j’ai retenu de mes lectures des archives de l’époque où le Grand amiral Thrawn en a fait usage comme contre-mesure pendant sa coopération avec le Jedi fou Joruus C’baoth. Je ne prétends pas comprendre ni la Force ni son fonctionnement mais j’étais très intéressé par les moyens de contenir ses effets et, mieux encore, de les neutraliser.

La Grande amirale semblait partager son avis concernant la complémentarité entre les Ysalamiri et les Chevaliers impériaux dans la flotte tout en éprouvant des doutes sur la pertinence de l’idée de l’appliquer à grande échelle. L’amiral avait entendu d’implants de négation au stade de prototypes mais il lui avait semblé que l’Empire n’avait pas souhaité développer davantage cette technologie. Bien sûr, il n’était pas dans le secret des dieux, ou en l’occurrence pas dans le secret de l’Imperial Intelligence donc il était tout à fait possible que cette technologie soit plus utilisée qu’il ne le croyait.

Concédant son ignorance en la matière, il se contenta d’acquiescer et de soutenir le regard de la Grande Amirale lorsqu’elle lui indiqua que ses idées étaient audacieuses mais que certaines d’entre elles, relatives au recrutement et aux mesures anti-IA, étaient prometteuses. L’APEX était sans doute le bloc qu’il connaissait le moins bien, n’ayant pas eu d’accrochage avec une de leurs flottes, contrairement aux forces du Consortium et à celles de la République. Ses connaissances provenaient principalement de rapports qu’il étudiait avec assiduité pour se tenir au courant de l’évolution de la situation tactique et technologique des ennemis de l’Empire.

- Je vous remercie, Basca. J’ai conscience que porter ces propositions n’est pas forcément ni simple, ni avantageux selon les factions au Conseil des Moffs, qui sont parfois très conservatrices. Je tiens aussi à préciser un point qui vous serait peut-être venu à l’esprit après cet entretien, si ce n’est pas déjà fait, puisque nous avons déjà évoqué la politique un peu plus tôt. Je m’en remets à votre appréciation et à votre jugement pour parler ou non de mon implication dans ces différents projets auprès du Conseil ou auprès de sa majesté impériale. Je m’estime déjà suffisamment récompensé par l’Empire pour ne pas rechercher davantage de faveurs en mettant en avant ces idées, ce pourquoi je préfère d’ailleurs le faire auprès de vous en petit comité plutôt que les étaler pendant une réunion de l’amirauté qui aurait sans doute été houleuse. A contrario, si vous pensez qu’un appui vous serait utile en me faisant présenter l’une ou l’autre de ces idées devant les Moffs ou devant d’autres amiraux pour vous permettre de jauger leurs réactions plus facilement, je suis également à votre disposition. Mes convictions et mes méthodes ne sont pas un secret donc mes pairs ne devraient pas être surpris. Dans tous les cas, je partirai du principe que ce qui a été échangé ici restera ici tant que vous ne m’aurez pas indiqué vos ordres en la matière, en dehors de la documentation que je vais vous transmettre.

Lukan préférait être transparent en la matière. Ce n’était pas parce qu’il n’était pas un amateur de politique qu’il était totalement ignorant du processus. Pour survivre et pour tenir son rang dans la famille Reige, il était indispensable d’en maîtriser des rudiments. En l’occurrence, Lukan venait d’indiquer cartes sur tables à la Grande Amirale que la paternité de ces idées n’était pas un enjeu fondamental pour lui, contrairement à leur implémentation. En d’autres termes, il préférait que Basca en récolte les lauriers si cela garantissait que les réformes aboutissent car là était tout ce qui importait à Reige. Amiral de la flotte et baron d’Empire, il considérait qu’on lui avait déjà rendu bien plus d’égards qu’il ne le méritait et il œuvrait chaque jour pour se montrer à la hauteur de cette charge. Contrairement à certains de ses pairs, il était conscient de ses failles et il savait qu’il n’avait ni les talents politiques, ni les contacts pour mener ces réformes à bien. La Grande Amirale, elle, avait les deux et sans doute d’autres atouts dans sa manche.

Reige fut quelque peu distrait lorsqu’elle laissa tomber un peu de crème pâtissière dans son décolleté, qu’elle alla chercher en y plongeant un doigt qu’elle porta ensuite à sa bouche. Le geste était sensuel mais l’amiral considéra que les Zeltrons l’étaient sans doute par nature donc il préféra ne pas y prêter une intention particulière. Si la Grande Amirale avait ce genre de desseins à son égard – et elle lui avait indiqué un peu plus tôt que ce n’était pas la raison de sa présence ici – il ne doutait pas qu’elle soit capable de le lui signifier d’une manière beaucoup moins équivoque. Compte-tenu de l’importance des sujets qu’ils étaient en train de discuter, il garda son regard fixé sur le sien et son attention sur ses paroles plutôt que sur sa généreuse poitrine.

Il réfléchit avec attention à la faiblesse de l’Empire que lui expliquait sa supérieure. Les relations entre la flotte et l’infanterie n’étaient pas simples en temps normal. Ce n’était pas tant que les métiers soient incompatibles, après tout les choses se passaient bien entre le personnel de la flotte et les commandos de marine embarqués à bord de leurs bâtiments. Non, le problème était souvent une question d’ego entre les commandants respectifs côté marine et côté forces terrestres, sans qu’on puisse en attribuer toujours la faute aux forces terrestres d’ailleurs.

- Vous savez que vous pourriez très bien me l’ordonner plutôt que de me le demander, Basca, répondit Lukan avec un sourire, même s’il comprenait tout à fait la démarche. Je suis prêt à travailler en ce sens mais j’aurais les mêmes conditions que lorsque nous avons discuté des chevaliers impériaux tout à l’heure. Pour que cette collaboration plus étroite ait une chance de fonctionner, et j’entends par là de réellement fonctionner, il faut que le colonel des forces terrestres avec qui je travaillerais soit sincèrement prêt à y mettre du sien. Le fait que nous soyons tous deux convaincus de la nécessité de cette collaboration m’apparaît comme la condition indispensable pour que nous puissions ensuite y travailler efficacement avec nos subordonnés. Le reste, et j’entends par là la coopération opérationnelle sur le terrain, le soutien logistique et de renseignement, ce sont des choses qui prendront du temps mais qui seraient paradoxalement beaucoup plus simples à mon avis si on peut démarrer sur ces bonnes bases.

Il but le restant de thé dans sa tasse et retroussa légèrement les manches de son kimono. La Grande Amirale avait fait déjà de grandes concessions aujourd’hui, il était normal d’y mettre du sien. Il partageait le diagnostic de Basca concernant l’infanterie, en tout cas du peu qu’il connaissait de leur fonctionnement en dehors de ses propres forces embarquées. L’amiral espérait être à la hauteur des attentes de sa supérieure mais pour la première fois depuis un certain temps, il ressentait une certaine espérance à l’idée que les choses puissent changer dans la flotte impériale au-delà de ses propres bâtiments.

Basca Quizan était sans aucun doute une femme magnifique et, outre ses phéromones, sa beauté avait dû captiver plus d’un homme. Reige n’y était pas insensible mais il trouvait l’officier beaucoup plus admirable que sa seule plastique. La Grande Amirale avait une vision pour améliorer les forces de l’Empire et au-delà de son sens du devoir, c’était pour cette raison qu’il mettrait tout son cœur à l’ouvrage.