Voyage au centre de la toile [PV Silenda | Terminé]

C’était le soir et d’une certaine manière, on pouvait dire que Shane s’était acquitté de ses tâches pour la journée, même si de son point de vue, être Chevalier Impérial était un travail à plein temps où on ne comptait pas ses heures. Il aimait beaucoup ce côté-là de son activité, car il se sentait rapidement désœuvré lorsqu’il n’y avait rien à faire – un peu comme maintenant, finalement. Dans ces cas-là, il en profitait généralement pour sortir afin de quoi trouver quelque chose pour occuper son esprit : ce fut exactement ce qu’il fit ce soir en entrant dans la première cantina qu’il trouva.

« Hey ! Content de te revoir ! » cria un jeune homme adossé au bar lorsqu’il aperçut Shane.

Shane sourit et le rejoignit, faisant connaissance des acolytes qui accompagnaient l’homme. Ils étaient des inconnus, au mieux de vagues connaissances, mais ils s’étaient déjà rencontrés plusieurs fois en ce lieu. En effet, si Shane ne connaissait pas leurs noms – pas plus qu’ils ne connaissaient le sien –, il connaissait en revanche bien cette cantina qui rassemblait des patriotes et des citoyens de l’Empire, des sortes de frères et sœurs à ses yeux. C’était pour cela que Shane aimait bien cet endroit : il ne pouvait que se trouver en bonne compagnie.

« Vous allez bien ? Pas trop fatigué ? demanda Shane.
– En forme, comme toujours ! répondirent-ils tous en cœur.
– Justement, puisque tu es là, comment pourrais-je l’approcher ? demanda une jeune femme en pointant du doigt un jeune homme assit plus loin.
– En t’approchant de lui ? En lui parlant ? répondit Shane, l’air interrogateur.
– Il faut que je t’explique, intervint quelqu’un, elle a le béguin pour lui depuis des semaines, que dis-je, des mois ! On a beau lui dire d’aller lui parler, de se jeter à l’eau, elle trouve toujours un prétexte pour se rétracter. »

Shane lâcha un rire gêné. Les affaires de cœur n’étaient pas sa spécialité et il aurait aimé s’en tenir éloigné, mais c’était une situation à prévoir : ces jeunes gens étaient vraisemblablement plus jeunes que lui, et ils avaient reçu une éducation très différente de la sienne… Leurs priorités et celles de Shane différaient donc, ce n’était pas surprenant.

« Monsieur ? demanda le barman en posant un verre devant Shane.
– Oui ?
– Compliments de la dame, là-bas, dit le barman en indiquant une femme plus loin. »

Shane jeta un coup d’œil vers la femme et soupira d’exaspération en s’apercevant que ce n’était rien de moins que la fameuse Silenda. Il en avait entendu des vertes et des pas mûrs à son sujet de la part de ses compatriotes chevaliers, et il voudrait lui démontrer par A plus B que non, les Chevaliers Impériaux la surpassaient. C’était sans doute une mauvaise idée – il le regretterait sans doute plus tard –, mais il ne pouvait pas s’en empêcher.

« Veuillez m’excuser, ma collègue là-bas m’appelle, dit Shane aux groupes de jeunes. »

Shane prit le verre déposé sur le bar puis partit rejoindre Silenda. Il se fraya aisément un chemin à travers la foule hétéroclite de ce soir. Déjà, on pouvait apercevoir des gens danser sur une piste de danse improvisée, la musique d’ambiance de la cantina servant à marquer le tempo. Shane contourna les danseurs puis s’arrêta juste devant Silenda, posant fermement le verre sur la table.

« Je ne suis pas serveur. La prochaine fois, va chercher ton verre toi-même. »

Shane, désœuvré, avait rejoint Silenda comme un papillon attiré par la lumière. Lui qui cherchait à occuper son esprit allait être servi. Il était si difficile pour lui de refuser un défi qu’il avait sauté à pieds joints dans l’ouverture donné par la Chiss. Avait-il bien fait ? Cela serait une réflexion qu’il aurait plus tard, lorsque les actions de cette soirée auraient eu des conséquences palpables – de préférence le plus tard possible, même s’il n’aurait sans doute pas ce luxe. Silenda était membre de l’Impérial Intelligence : assassina, infiltration et espionnage, l’Impérial Intelligence avait la main mise sur ces trois domaines. Le résultat ? L’Impérial Intelligence savait tout, rien ne leur échappait – tout comme le tutoiement qu’avait laissé échapper Shane. Il ne fallait pas y voir là une volonté de se rapprocher intiment avec Silenda, mais bien une façon de s’imposer face à elle, l’aiguille plantée profondément dans la chaire des Chevaliers Impériaux. Elle leurs avait causé bien des problèmes.

« Vouvoyons-nous alors. Cela ne pose aucun problème. »

Disons même que le vouvoiement arrangeait aussi bien Shane que le tutoiement. Il était habitué à ce genre de formalité depuis son enfance, vouvoyant la plupart du temps sa propre mère sous l’étonnement générale de ses camarades de classe. Cela permettait d’installer un cadre, évitant ainsi à Shane certaines actions inconsidérées – son approche brutal ne faisait malheureusement pas parti des actions "inconsidérée". Au vu de comment Silenda avait roulé d’autres Chevaliers Impériaux, il fallait bien garder une certaine prudence. Une prudence qu’il avait failli oublier sans cette petite piqûre de rappel.

Cependant, aussi douée que soit l’Impérial Intelligence, Silenda ne semblait pas s’être aperçu du fait que Shane n’acceptait jamais en provenance d’étrangers, se débrouillant pour les refuser – ou de ne pas les boire, tout simplement. Ce n’était pas une question de paranoïa, mais d’honneur. Ce verre-là, il aurait pu se le procurer lui-même. Pourquoi accepter l’offre de Silenda et lui devoir, par la même occasion, la valeur du verre ?

« Ce justement parce que nous sommes entre loyalistes à l’Empire que je ne peux pas accepter ce verre. L’Empire est ma famille et je ne ferais pas payer à ma sœur ma boisson. » dit Shane en poussant le verre en question en direction de Silenda.

Tout ce que venait de dire Shane était sincère : il le pensait, et si elle était aussi loyaliste qu'elle le disait, elle serait juste une sœur de plus – mais cela ne l'empêcherait pas de lui montrer la supériorité des Chevaliers Impériaux. Elle avait embêté beaucoup de ses frères, il fallait... lui rabattre le caquet ? Un peu comme sa véritable sœur, Jenka. Shane l'aimait beaucoup – il ne dirait jamais le contraire –, mais ils avaient plutôt… Une relation compliquée ? Ils ne s’étaient pas communiqué de vive-voix depuis la dernière réunion « familiale » chez leur mère. Shane passait toujours par sa mère pour avoir des nouvelles : ce n’était pas Jenka qui lui en donnerait, au vu de comment s’est terminé leur dernière discussion. Quel était le sujet de conversation ce jour-là ? Quelque chose de bête et méchant, comme d’habitude.

Dans ce cas-là, comment pouvait-il répondre à la question de Silenda ? Le mois dernier, le bilan médical de Jenka assurait que cette dernière était en bonne santé. Jusqu’aux dernières nouvelles, il n’était pas malade non plus. Ne pouvait-on pas dire que tout allait bien ? Qu’est-ce qu’il détestait cette question ! Il était en un seul morceau, juste devant-elle – et sa sœur devait-elle aussi être en un seul morceau, peu importe où elle se trouvait dans l’Empire. Qu’attendait-elle de plus ?

« Je ne suis ni blessé ni malade, tout comme ma sœur selon les dernières nouvelles. Nous pouvons donc dire que nous allons bien. Et vous ? Comment allez-vous ? Je ne vous ai jamais vu ici auparavant, fréquentez-vous cet endroit depuis longtemps ? »

Shane voulait commencer la conversation doucement par des questions banales et habituelles. Il aurait tout le temps de lui démontrer en quoi l’Impérial Intelligence ne valait pas l’ordre des Chevaliers Impériaux. Les meilleures victoires étaient celles qui se gagnaient sans bataille – cela lui occupera aussi l'esprit un moment.

Si Shane voulait la convaincre doucement de la supériorité des Chevaliers Impériaux, il se fit la réflexion qu’il n’en n’aurait peut-être pas le temps. Ni l’envie, finalement. Déjà, Silenda soupçonnait sans honte que certains clients de la cantina n’était pas aussi loyalistes qu’ils le prétendaient. Shane se hérissa, et faillit se lever pour lui donner un coup bien placé. Comment de telles personnes pouvaient-elles exister ? Chaque citoyen se devait d’être fidèle à l’Empire, il n’imaginait pas de monde sans que cette vérité ne résonne au cœur de chaque citoyen de l’Empire. Si Silenda voulait le convaincre, elle devrait ramener des preuves solides – pas seulement des soupçons et des hypothèses. Des soupçons et des hypothèses, c’était tout ce qu’elle lui présentait pour le moment.

Puis, Silenda présenta son enquête du moment. Shane haussa un sourcil, elle avait une drôle de façon d’introduire son sujet – voilà pourquoi elle parlait de loyaliste pas réellement loyaliste présent dans la cantina. Malheureusement, c’était censé également être le pourquoi de sa venue ici dans la cantina. Parler des enquêtes de l’Impérial Intelligence en dehors de son cercle n’était pas interdit ? Shane lança à la femme un regard grave. Elle avait bien intérêt à lui présenter des preuves indiscutables. Vous savez ce qu’elle lui présenta ? Des transactions irrégulières le compte bancaire d’un individu se disant loyaliste. Ces transactions suspectes indiquaient généralement un collaborateur, extrapolait la Chiss. Shane fit la grimace. Ce mot… généralement… Il ne l’aimait pas. Ce mot indiquait qu’il y avait d’autres options possible – évidemment non-présentées par Silenda, cela n’était sans doute pas dans son intérêt. Il fallait explorer toutes les voies possibles lorsqu’on enquêtait, Silenda semblait l’oublier. Des transactions irrégulières pouvaient indiquer tant d’autres choses que des collaborateurs, suivant l’individu sujet à ces dernières, comme...

Ah. Voilà que Silenda souhaiterait qu’il résolve l’enquête à sa place. S’il n’y avait que lui, Shane sauterait sur l’occasion pour rabattre le caquet de Silenda. Seulement, cela serait contraire aux ordres. On ne lui avait pas confié cette tâche, et se mêler des affaires de l’Impérial Intelligence sans ordre venant d’en haut… Ce n’était pas ainsi que fonctionnait les procédures. Il y avait une certaine forme à respecter pour ce genre de demande. Pourquoi ne pas les suivre ? Ces procédures n’étaient cependant pas bien gênantes, Shane pourrait toujours embêter Silenda autrement.

« Etes vous si incompétente que vous devez demander de l’aide aux Chevaliers Impériaux ? L’Impérial Intelligence vous a confié une tâche, à vous de l’exécuter dans les meilleurs de vos capacités. Si vraiment vous n’y arrivez pas, je suis sûr que vous pouvez réellement demander mon aide par des voies plus formelles. Il y a des procédures à suivre. Suivez-les correctement. Où est passé votre professionnalisme et vos préférences pour les formalités, exactement ? »

Régulièrement, l’index de Shane tapait sur la table, tel un métronome bien régulé. Sa tête se pencha sur le côté, fixant Silenda dans les yeux, un air grave assombrit ses prunelles.

« A moins que vous ne soyez pas vraiment loyaliste également ? L’Empire aime l’ordre. Les procédures sont un moyen parmi d’autres d’avoir de l’ordre au sein de l’Empire. En les éclipsant, vous ne faites que favoriser l’anarchie. Par ce simple fait, vous pouvez être considéré comme étant… dit Shane en terminant par un vague geste de la main plutôt éloquant, signifiant quelque chose comme "traître", "déloyale", "agent agissant contre l'Empire", bien que les termes ci-dessous serait peut-être un peu fort. »

Ce n’était que des hypothèses, des réflexions faites sûr le tas, mais il n’avait pas pu s’en empêcher. Encore. Mais cela pouvait également faire mal, très mal, alors il n’avait lâché quand même. Pour descendre Silenda de son piédestal, il pouvait procéder de différentes manières. Il pouvait la convaincre de la supériorité des Chevaliers Impériaux. Il pouvait prendre une approche plus directe, et commencer un combat – une chose qu’il se refuse, se trouvant notamment dans un cantina, il avait quand même un sens minimum de préservation. Il pouvait également lui couper dans ses envolés lyriques, la descendre psychologiquement. Il pouvait aussi faire comme il le faisait maintenant, c’est-à-dire faire et dire des choses, sans trop savoir où cela pouvait mener.

Un dicton disait « qui ne répond, consent ». C’était exactement ainsi que Shane percevait cette situation. Silenda n’était pas forcément aussi loyaliste que les autres membres de cette cantina, pas aussi loyaliste que lui – ou pas de la même façon, Shane ne savait pas trop. Détourner la conversation était sans doute un moyen d’oublier les questions et les soupçons – seulement Shane n’oubliait pas si vite. Prendre un ton professoral et lui expliquer en quoi elle avait parfaitement le droit de lui demander de l’aide était aussi un moyen d’éviter la question. Son refus de l’aider, disait-elle serait un crime, puisque faisant obstruction à l’Intelligence Impérial. Shane soupira. Comment pouvait-elle être aussi illogique ?

Silenda lui avait demandé de résoudre l’enquête à sa place, mais puisqu’il était ici en tant que civil, il ne pouvait pas vraiment intervenir (plus que de répondre à des questions), puisqu’il n’avait pas les droits pour, n’est-ce pas ? Et puis même s’il n’était pas ici en tant que civil, Silenda ne lui avait réellement fait que demander son avis sur l’enquête, sur comment il pourrait éventuellement la résoudre : en quoi avait-il fait obstruction à l’enquête ? Certes, l’Impériale Intelligence faisait appel à des éléments extérieurs, mais il y avait toujours certaines procédures minimales à respecter, entre autres l’accord de leurs supérieurs – enfin, il lui semblait que cela se passait ainsi.

Shane voulut lui répliquer une remarquer acerbe, mais elle partit en direction de la piste de danse qu’elle traversa, rejoignant un jeune homme. Shane ne perçut pas la discussion, mais sut rapidement que cela risquait de mal finir quand les clients de la cantina sortirent leurs armes, tenant en joug l’homme, lui-même tenant fermement sous son arme un otage. Shane se mordilla sa lèvre inférieure, agacé. Silenda ne voyait-elle pas qu’elle s’y était plus que mal prise ? La situation pourrait vite dégénérer, surtout si l’homme est un « traître ». Shane s’inquiétait beaucoup pour l’otage, et les clients qui pourrait éventuellement se blesser. Il devait faire quelque chose pour désamorcer la poudrière. Qu’on ne lui dise pas qu’il ne protégeait pas bien sa patrie. Il se faufila donc à travers les clients de la cantina pour atteindre Silenda, le « traître » et l’otage, en lançant un regard agacé à Silenda.

« Prendre des otages est inutile, libère l’otage, dit Shane en utilisant la Persuasion de Force.»

Le « traître » était donc plutôt faible d’esprit, puisqu’il fit tout de suite ce que demanda Shane, sans résister. Aussitôt, Shane poussa l’otage derrière lui. Voilà quelque chose de bien fait lui allégeant un peu l’esprit. L’otage ne pourrait pas être blessé pour le moment. Heureusement que le « traître » semblait comme… tétanisé sur place. Shane le garda à l’œil.

« Vous vous rendez compte de la poudrière que vous pourriez engendrer avec cette situation ? Si un seul des citoyens fidèles à l’Empire est blessé à cause de votre bêtise, vous aurez affaire à moi. Vous auriez pu choisir une approche plus subtile. Emmenez cet homme à l’Impérial Intelligence, maintenant. »

Shane avait une main proche de son sabre-laser, toujours accroché à sa ceinture. Il craignait que la situation ne dérape d’une seconde à l’autre.

Shane devrait sans doute penser à se prémunir contre cette Silenda et ses idées incongrues. D’où lui venait ces idées complètement tirées par les cheveux ? Shane lui jeta un regard offensé, à juste cause. Ne se préoccuperait-elle pas de la sécurité des citoyens de l’Empire ? C’était un sujet absolument vital ! Surtout si elle se disait loyaliste. Il était maintenant clair pour Shane que la Chiss n’était pas aussi fidèle à l’Empire qu’elle le disait.

« Moi, oser vous menacer ? C’est vous qui devriez voir un médecin pour vérifier le bon fonctionnement de vos oreilles. Avec votre métier, avoir des problèmes de surdité pourrait grandement affecter vos performances. Pouvez-vous mentionner un seul moment où je manifestais mon intention de vous contraire par la force ou d’avoir recours à la violence si vous n’obtempérez pas ? Non. Je fais simplement appel à votre bon sens et à la logique. Manquer à la sécurité de la population ne fait pas partie de votre devoir, il me semble. »

L’otage, membre de l’Impérial Intelligence, était un citoyen de l’Empire. Silenda ne s’intéressait peut-être pas de leurs états de santé ou de leurs états psychologiques, mais de l’avis de Shane, c’était aussi important que d’assurer la protection de l’Empire. Shane fut déçu de l’attitude de Silenda à ce sujet, elle qui semblait si professionnelle. Shane comprenait donc mieux la hargne de ses compagnons Chevaliers à son encontre, et il les soutenait donc encore plus.

« Votre agent est un citoyen de l’Empire. Je protège les citoyens de l’Empire. Cela ne semble pas être votre cas. Vous laisseriez facilement un citoyen mourir car cela vous arrange. »

Et cette dernière constatation dégoûtait profondément Shane. Jamais il n’avait envisagé rencontrer ce type de personne. Il avait à la fois la folle envie de la gifler et celle de la fuir le plus loin possible. Seulement, il n’était ni un lâche ni un fou, alors il ne fit ni l’un ni l’autre – mais l’envie n’y manquait pas. Et c’était dans cette situation qu’elle espérait avoir une conversation cordiale avec Shane ? Il esquissa un sourire. Elle devait être folle, ou ne pas avoir toute sa tête.

« Je croyais qu’on discutait déjà cordialement, Shane fit une courte pause avant de reprendre la parole. Dois-je vous rappeler la présence de ce bonhomme-là ? Dis Shane pointant du doigt le traître. Lorsque vous vous serez occupé de ce traître, encore présent, et que vous serez ici en tant que civil, on pourra peut-être continuer notre conversation cordiale. Pas avant. »

Shane était réaliste, jamais Silenda et lui ne pourrait avoir une conversation encore plus cordiale que cela. Il ne comprenait pas non plus pourquoi elle digressait déjà vers un autre sujet. N’était-elle pas en mission ? Les clients de la cantina aimeraient beaucoup s’en charger à sa place : les armes des clients étaient toujours dégainées, ils étaient prêts à entrer en action à n’importe quel moment. C’était une certitude, certains des loyalistes avaient grandement envie de tuer cet homme s’étant révélé être traître.

« Je vous conseille de continuer vos affaires officielles avant que les citoyens loyalistes s’en chargent eux-mêmes. Vous ne voulez pas que nos citoyens loyalistes ici présent ne pique votre travail tout de même ? »

Et ces derniers qui oseront le faire seront ensuite bien embêtés vis-à-vis de la loi. Bien que Silenda ne s’en préoccupait pas, ce n’est pas ce que souhaitait Shane pour chacun d’entre eux. Shane les en empécherait volontier, mais il ne serait sans doute plus le bien venu ici, tout come Silenda. Shane était au milieu d'un dilemne qu'il ne savait pas résoudre.

Shane esquissa un rictus. Silenda sacrifierait donc aisément des éléments vitaux à l’Empire. L’Impérial Intelligence, les citoyens, les Chevaliers Impériaux, l’armée, l’idéologie… Tout cela faisait partie du grand ensemble que comprenait l’Empire Galactique. Protéger l’Empire, c’était donc protéger aussi tout cela. Avoir des gens en vie pour piloter tout cela était donc une variable non-négligeable à prendre en compte. Par exemple, cet agent de l’Impérial Intelligence déguisé en otage avait sans doute beaucoup d’expérience dans son travail. Pouvait-on sacrifier donc si négligemment un tel élément ? Shane pouvait mourir pour l’Empire, il le ferait de bonté de cœur. Mais les autres ? Hors de question, il aurait failli à son devoir.

Silenda termina sa tâche, sortant de traître de la Cantina, avant d’y revenir faire un discours. Immédiatement, les clients rangèrent leurs armes. Cela enleva un poids des épaules de Shane, un poids qu’il ne savait pas exister. La Chiss ne se préoccupait visiblement ni des citoyens de l’Empire ni de l’Empire dans son ensemble. Était-ce un trait typiquement Chiss, ou bien une particularité de Silenda ? Cela le chagrinait beaucoup. Comment une telle personne aurait-elle pu intégrer l’Impérial Intelligence ? Peut-être qu’il fallait revoir les exigences de recrutement à la hausse.

Après son discours, Silenda repris place à sa table. Elle semblait attendre Shane. Ne pourrait-il pas couper la discussion maintenant et quitter la Cantina ? Non, Silenda se réjouirait de sa victoire – et ceci était hors de question. Il s’installa donc à sa table et l’écouta parler. Elle remettait en question son loyalisme à l’Empire. Shane grinça des dents. Selon elle, le sacrifice de tous les citoyens était nécessaire pour préserver la grandeur de l’Empire. Comment pouvait-on débiter de telles absurdités ?

« Sacrifier tous les éléments constituant l’Empire pour sa gloire ? Vous ne semblez pas être consciente du fait que l’Empire n’est pas une entité à lui seul. Il est composé de ses citoyens qui le font marcher sur ses deux jambes, de l’Impérial Intelligence qui élimine les tumeurs en le protégeant de l’intérieur, de l’armée qui se débarrasse des antigènes en le protégeant de l’extérieur, de l’Impératrice et de son trône qui représentent son cerveau, de l’idéologie qui unis chaque organe de l’Empire comme le fait le sang pour les organes du corps humain…

Dans tout cela, finalement, il n’y a que deux choses importantes à protéger : le cerveau avec l’Impératrice et le trône, mais aussi les citoyens qui permettent à l’Empire de continuer d’exister. Sans citoyens, qui pourrait rentrer dans l’armée ? Dans l’Impérial Intelligence ? Sans Impératrice ni trône, qui pourrait guider les citoyens, apporter l’ordre ? Vous voyez, sans ces deux éléments, l’Empire coure à sa perte. Avec votre raisonnement, vous ferez couler l’Empire.

Si je dois protéger seul et mourir seul pour tout cela, alors soit. »

Shane s’était attendu à ce que Silenda s’opposait à sa façon de voir les choses. C’était devenue aussi prévisible que ses disputes incessantes avec sa sœur. Lui donner une bonne leçon face à sa manière de traiter ses camarades Chevaliers Impériaux n’était même plus amusant ni divertissant. Et se venger de l’honneur de ses frères… La Chiss et lui-même marchaient dans des directions tellement opposées, vivaient dans des mondes tellement différents, que ce n’était plus une priorité. Ce ne serait que dépenser de l’énergie inutilement, jamais elle n’entendrait raison. Voilà pourquoi ses frères Chevaliers n’arrivaient pas à déloger l’épine de leur pied.

« Bien sûr, et sacrifier les citoyens loyalistes de la ville ? Je suis sûr que vos loyalistes galvanisés vous remercieront d’avoir sacrifié leurs frères. Les loyalistes, les vrais comme vous les nommés, se vengeront. Vous risquerez une mutinerie. »

Shane éclata de rire. C’était un rire brillant, un rire nerveux – un rire libérateur, voilà tout. Ils n’avaient sans doute pas grandi dans le même environnement ni dans les mêmes conditions. Leurs expériences de la vie étaient complètement différentes. Peut-être qu’elle n’était pas passée par les écoles de l’Empire, peut-être même qu’elle n’avait pas baigné dans l’idéologie de l’Empire comme il avait fait. Il s’entêtait à la traiter comme une vraie citoyenne, alors qu’elle ne l’était clairement pas une. Il n’y avait pas pensé, mais il aurait peut-être dû moduler ses propos, pour faire en sorte qu’elle comprenne correctement ses dires.

« Peu importe les circonstances, un citoyen traître à l’Empire n’est plus un citoyen, mais un traître. Et les traîtres ne méritent pas de vivre. L’Empire les a protégés et nourrits, qu’ils trahissent ainsi leur bienfaiteur est un crime de la plus haute trahison. La mort ne serait pas assez pour purger leur crime. Chaque citoyen en a conscience.

Reprenons votre scénario hypothétique en suivant cette logique. Un Sith a étendu son influence dans une petite ville reculée de l’Empire. Des civils, sous son influence, se sont rendus coupables de crimes contre l’Empire. Ces citoyens, ou devrais-je dire ces traîtres, mourront – que ce soit par ma main ou par d’autres autorités compétentes de l’Empire –, certains demanderont peut-être eux-mêmes à la mort de les chercher afin de se repentir de leurs fautes. Et ce Sith mourra aussi avec eux. Il n’existe pas d’autres solutions possibles. Si jamais je faillis, alors vous êtes libre de me condamner pour trahison et de m’exécuter. J’en serais fort heureux.

Je protégerais l’Empire. Les terroristes, traites, la république, les Siths… Tout cela ne fait pas partie de l’Empire, me semble-t-il. »

« Si un loyaliste l’est par le cœur et la tête, comme vous le dites, alors ces derniers n’ont que peu de chance d’avoir des esprits faibles. Les chances qu’ils deviennent les marionnettes d’un Sith contre leur volonté sont… dans ce cas, improbable ? Après tout peut arriver, c’est pourquoi il vaut mieux qu’aucun Sith n’entre dans l’Empire.  »

Shane ne savait pas que répondre aux autres questions de Silenda, alors il prit son temps pour y répondre. Elle partait dans des considérations auxquelles il lui était difficile de répondre correctement, puisqu’il n’avait jamais besoin de ces réponses. La loyauté était un concept compliqué, impliquant une multitude de facteurs divers. Il avait pratiquement grandi avec, alors comment l’expliquer lorsqu’on n’a pas connu autre chose ? Voilà ce qui était compliqué, au fond, avec les personnes ne sortant pas des écoles de l’Empire : leur expérience de la vie était tellement différente qu’elle était presque inimaginable.

« Il existe dans l’univers de multiples vérités. Seulement, dans l’Empire, une seule vérité prime sur toutes les autres. Ceux qui suivent cette vérité peuvent être considérés comme loyale à l’idéologie de l’Empire et à l’Empire lui-même. La personne assise sur le trône impérial, l’Impératrice actuellement, à un certain pouvoir sur cette vérité, mais il y a des fondements qu’elle ne peut changer.

On peut donc considérer que non seulement elle est loyale à cette vérité, et qu’elle est l’un des facteurs importants de la mise en place de cette vérité dans l’Empire. En conséquence, être loyal à l’Empire à l’Impératrice, au trône, ou bien à l’Impératrice ? Je trouve qu’il n’y a que peu de différence, mise à part les conflits inutiles que cela engendre.

Quant aux excès de certains… C’est bien malheureux, mais certains n’ont visiblement pas toutes leurs raisons…  »

Shane eut un petit sourire. Avait-il finalement réussi à convaincre de la supériorité des Chevaliers Impériaux ? Non, mais Silenda allait visible réviser son discours à propos des membres de leur ordre. En mal ? En bien ? Il ne le savait pas, mais il espérait vivement que cette dernière leur créerait moins de problèmes. La discussion a donc peut-être été productive, c’était en quelque sorte rassurant, car il avait sans cesse l’impression de nager à contre-courant. Si tous les membres de l’Intelligence Impérial pensaient comme elle… Shane n’était pas pressé de les rencontrer en personne.

« Ai-je satisfait votre curiosité ? Où avez-vous d’autres pensées à partager ce soir ? »

Silenda était une personne dangereuse, pour elle-même, mais également pour les autres. Confondre la curiosité – c’est-à-dire l’envie d’apprendre de nouvelles choses – avec l’esprit critique – la capacité à remettre les choses en question – était pour Shane une grave erreur. De par son expérience, une trop grande curiosité avait tendance à desservir les intérêts des gens. Et Silenda était… Non seulement elle était un peu trop curieuse pour son propre bien, mais en plus elle prenait sa curiosité pour de l’esprit critique. Shane grimaça intérieurement. Il devrait filer d’ici, et vite. Il n’avait pas envie de rencontrer plus de dangers qu’il ne le devrait. Il avait quand même un peu de sens de préservation.

Et les questions de Silenda n’étaient vraiment plus amusantes. Elles lui donnaient plutôt un sacré mal de tête. Elles commençaient à devenir un peu trop philosophique pour lui, et la philosophie… Cela ne faisait pas partie de ses centres d’intérêts. Certes, en prenant des définitions brutes, la cybernétique et le transhumanisme ne faisait pas partie de la Force, mais… La Force… Comment expliquer cela correctement ? Lors du recrutement de nouveaux éléments, l’ordre des Chevaliers Impériaux observait notamment la moralité… la philosophie de vie… l’esprit ? Oui, ils regardaient l’esprit de chaque individu. Le côté obscur et le côté lumineux ne représentaient pas seulement des facettes différentes de la Force, ils étaient également... des codes moraux ?

« La Force n’est pas un concept qui touche seulement les êtres qui y sont sensibles. Du moment qu’une personne a un esprit, prend des décisions avec son esprit et non pas par une logique dictée par une machine, alors… D’une certaine manière, la Force l’affecte aussi ? Le côté obscur, le côté lumineux… ce ne sont pas seulement des facettes de la Force, il y a aussi toute un ensemble de principes qui y est attaché... »

Pourquoi Shane avait-il l’impression que son explication était quelque peu bancale ? De toute façon, il avait la nette impression que son interlocutrice ne le comprendrait pas – il ne comprenait pas vraiment ce qu’il venait lui-même d’énoncer. Frustré, il se leva brusquement, tapant du poing sur la table.

« Assez de questions philosophiques pour aujourd’hui. »