Doux foyer [PV Mazekeen Farron et Vus'pok'kiasu]

Kolton avait atterri sur Bastion la semaine précédente, et il n’était pas bien satisfait de devoir y rester si longtemps. Sa rapide expédition aux confins de l’espace connu avait été, à peu de chose près, son seul changement d’air depuis le coup d’Etat de l’usurpateur. L’intégralité de son temps depuis cet évènement avait été consacré à tromper, puis à traquer les soutiens du traître aux quatre coins de la capitale, et autant dire qu’ils avaient été nombreux. Seulement voilà, la quantité de renégats dans la nature s’étant grandement atténuée, Kolton s’était depuis peu emparé d’autres sujets qui méritaient, pour certains, qu’il active son réseau et surtout qu’il attende d’en recevoir des réponses. Le Chevalier se retrouvait donc dans la très inconfortable position de celui qui ne peut se permettre d’engager de nouvelles actions majeures sous peine de rater les retours pour lesquels il s’impatiente, tout en ne sachant pas vraiment quand ces derniers lui arriveront.

Il n’avait pas non plus été parfaitement oisif au cours des derniers jours, mais il fallait avouer que les inspections protocolaires et les missions diplomatiques ne figuraient ni parmi les tâches les plus amusantes du Chevalier Impérial, ni les plus utiles.En fin de comptes, Kolton s’était tellement retrouvé à cours d’idées qu’il avait inspecté, dans un réflexe sans doute plus né de l’ennui que de la paranoÏa, toutes les planques dont il disposait sur Bastion, en vrain. Pour la première fois de sa vie, cet acharné de travail se retrouvait dépourvu d’objectifs. Si la perspective de vacances surprise en aurait sans doute ravi plus d’un, celui qui n’avait jamais vécu que pour l’Empire depuis son plus jeune âge s’en trouvait fort dérangé.

Incapable donc de trouver quelque chose à faire, Kolton s’était finalement résolu à se familiariser un tant soit peu avec l’aile du palais impérial réservée à son Ordre. A vrai dire, on l’y voyait si rarement qu’il avait dû passer par des contrôles supplémentaires à l’entrée. Voilà qui lui procurait au moins la satisfaction de savoir le palais bien sécurisé. Une fois à l’intérieur, il erra sans réel but jusqu’à arriver à ses propres quartiers. Il n’y passa que la tête, le temps de vérifier qu’ils demeuraient bien aussi vides qu’il les avait laissés au premier jour. Pas de surprise sur ce plan là. Toujours affublé d’une armure impeccablement propre, Kolton s’aventura ensuite au hasard dans les parties communes de l’aile dédiée aux siens. S’il avait pris l’habitude, ces derniers temps, de maudire la façon dont sa tenue officielle le faisait sortir de la masse, il lui fallait bien admettre qu’elle avait, dans ces halls, l’exact effet inverse.

Pourtant, Kolton remarqua vite le nombre de regards interrogatifs qu’il recevait de la part de ses pairs. Et pour cause : nombre d’entre eux n’avaient pas revu son visage depuis ses jours d’écuyer. Il fallait bien admettre que le chaos du coup d’Etat et de ses conséquences couplé à la marge de manœuvre naturelle des Chevaliers lui avait permis de bénéficier d’une autonomie spectaculaire. S’il était aussi à l’aise que ses estimés collègues dans la lumière des champs de bataille, lui avait toujours eu plus d’aisance que d’autres à évoluer dans les ombres des merveilles impériales, ce qui ne favorisait pas la sociabilisation avec les siens.

Ses pas le conduisirent, sans qu’il ne le choisisse vraiment, au dojo des Chevaliers, où s'exerçaient à l’heure actuelle plusieurs écuyers dont la ferveur grandissait à chaque nouvel observateur de renom qui s’ajoutait à l’attentive petite foule. Autant dire que la venue de Kolton ne provoqua, chez eux, pas grand émoi, mais il ne s’en inquiéta guère : érigés à ses côtés, d’autres profils plus héroïques, plus légendaires pour certains, stimulaient déjà le plein enthousiasme des jeunes pousses. Peut-être parviendraient-ils à apprendre quelque chose à Kolton, finalement.

Les murs de permabéton n'avaient pas le charme de sa demeure à Valrar, mais Mazekeen s'y sentait chez elle. Ces murs froids et souvent impersonnels recelaient de nombreux souvenirs. Des moments fugaces, figés dans la mémoire de l'Echani comme les plus précieux des trésors. Remettre enfin le pied sur Bastion était une libération. La guerrière avait senti un poids se lever de ses épaules au moment où la passerelle du Dragonfly s'était refermée derrière elle, et pas uniquement parce qu'elle échappait enfin à ce vide spatial qui l'effrayait tant. Revenir signifiait également la fin de ce froid crève-cœur qu'Aerys avait maintenu entre elles une année durant. Une Impératrice, d'ailleurs, qui avait fait le trajet retour jusqu'à la Capitale en sa compagnie et que Mazekeen avait raccompagnée jusqu'à ses appartements avant de se retirer pour la nuit.

Reprendre ses habitudes n'avait été qu'une question d'heures après une nuit de sommeil. Les quartiers de l'Echani n'avaient pas changé. Les droïdes d'entretien avaient fait le nécessaire pour que l'endroit reste propre et en ordre. Pas un millimètre de poussière n'était présent sur les étagères disposées contre les murs, ni sur les armes blanches que Mazekeen y avait accrochées des années plus tôt. Quant à son armure, elle en retrouvait le poids familier. Cela faisait un certain temps qu'elle ne l'avait pas portée, ses assignations s'étant faites moins nombreuses après les six mois passés au chevet d'Ymir. Force était de constater qu'elle n'avait pas perdu en adresse, son entraînement quotidien et acharné ayant porté ses fruits. Quant à sa cuirasse, elle n'avait jamais été incommodée par cette dernière, la cybernétique aidant.

La première action de l'Echani fut de faire connaître son retour car elle était revenue comme une voleuse au milieu de la nuit. Cela n'avait pas été bien difficile pour plusieurs raisons. La première était simplement que Mazekeen ne passait pas inaperçue. Si elle portait la même armure que tous les autres, sa chevelure blanche détonnait parmi les couleurs plus naturelles des nombreux humains présents dans l'aile attribuée aux Chevaliers Impériaux. Du reste, la guerrière-née avait toujours eu une aura captivante, immanquable. Cela ne découlait pas d'un besoin superficiel, mais bien d'une volonté de montrer qu'elle était prête à défendre l'Empire et son Impératrice à toute heure du jour ou de la nuit. Les plus vieux parmi les Chevaliers se rappelaient peut-être les affiches de propagande qui avaient circulé des années plus tôt, et où l'Echani avait eu un rôle central. D'autres encore se rappelaient peut-être avoir vu la guerrière en détresse, un an plus tôt, lorsqu'elle avait affirmé qu'Aerys était toujours en vie. Une courte période qui avait encore un goût de cendre dans la bouche de la Chevalière Impériale et dont elle préférait ne pas parler plus que nécessaire.

Finalement, Mazekeen renoua aisément avec ses compagnons. La confiance et la cohésion d'équipe étaient importantes pour la jeune femme, cette dernière remarquant sans peine l'absence de certains visages connus d'autrefois. Fidèles à l'Usurpateur plutôt qu'à l'Empire, ils n'étaient plus, tout comme l'assassin qui avait attenté à sa vie un an plus tôt. Ce bain de foule, en quelque sorte, fatigua l'Echani plus rapidement que de raison. Elle n'avait plus l'habitude, son Don lui jouant là un tour depuis longtemps oublié. Il lui faudrait travailler sur ce point afin d'être en mesure d'accueillir de nouveau en elle tous ces liens, à la façon d'une toile d'araignée qu'elle devait réparer. En attendant, il y avait bien une chose qu'elle pouvait faire : s'entraîner. Pour une Echani, c'était l'équivalent d'une méditation et surtout une excellente façon de faire connaissance avec les plus jeunes parmi l'Ordre, ceux qu'elle ne connaissait pas encore. Naturellement, Mazekeen se dirigea donc vers le dojo des Chevaliers.

Il s'y trouvait déjà plusieurs écuyers dont l'armure blanche les faisait immédiatement sortir du lot. Ils ferraillaient à l'aide de sabres d'entraînement sous la supervision de plusieurs Maîtres Chevaliers, ceux-là même que Mazekeen avait rejoint depuis peu. La nouvelle ne s'était sans doute pas répandue, Aerys s'étant contentée d'un bout de papier déposé sur son bureau pour faire état de sa promotion. Quelque chose qui chiffonnait encore l'Echani, mais cette dernière devait livrer une bataille à la fois lorsqu'il était question de sa meilleure amie.

Et la Force seule savait qu'il y avait du travail à abattre concernant l'Impératrice.

Les mains jointes dans le dos, la jeune femme poursuivit son observation. Son visage arborait un masque sérieux, mais pas froid, tandis que ses prunelles argentées étaient plus critiques. Maze n'avait jamais été adepte des "poker face" et ne cachait pas son analyse des mouvements et des attaques qu'elle avait sous les yeux, un langage à part entière pour les natifs d'Echan.

Finalement, au bout de quelques minutes, son regard fut attiré par un visage particulier. Ou plutôt, elle manqua de ne pas le remarquer parmi le lot de Chevaliers qui se trouvait là. Un humain qu'elle jugea approximativement du même âge qu'elle mais dont les traits ne lui disaient rien. Dans la Force, elle ne décelait guère l'ébauche d'un Lien, ce qui signifiait qu'ils ne s'étaient jamais croisés ou, tout du moins, pas assez longtemps. Mais par-dessus tout, c'était sa façon de se tenir dans la pièce tout en se faisant étonnamment discret qui interpella l'ancienne Lieutenante de la 501.

De sa démarche assurée, Mazekeen traversa la pièce. L'attention était rivée sur les jeunes pousses qui s'entraînaient, et son mouvement fut à peine remarqué. L'humain était à peine plus grand qu'elle, découvrit-elle lorsqu'elle s'arrêta à côté de lui.

« Bonjour, » salua-t-elle dans un basic teinté d'un très léger accent Echani. « Ça fait un moment que je n'avais pas mis les pieds ici alors je profite de l'occasion pour faire connaissance. » poursuivit-elle avant de tendre une main gantée à l'ancien agent impérial, un sourire timide animant soudainement son visage. « La Force me dit que nous ne nous sommes jamais croisés. Je suis Maître Mazekeen Farron, anciennement Lieutenant de la 501. Enchantée. » se présenta t-elle, sentant qu'évoqué son passé de Stormtrooper était une bonne idée.

Kolton avait repéré Mazekeen bien avant que ses yeux ne s'arrêtent sur lui. Si aucun des Chevaliers présents dans la pièce ne manquait d’aura, à l’exception peut-être de l'ancien agent lui-même, l’Echani brillait comme un phare dans la nuit. Cela s’expliquait certainement de prime abord par ses caractéristiques physiques, car la chevelure argentée propre aux siens la faisait sortir du lot parmi un groupe de guerriers majoritairement humains. Invisible et pourtant remarquable, c’était ensuite et surtout sa présence dans la Force qui lui permettait de se démarquer. Il n'était pas question de puissance brute, mais plutôt de l'harmonieuse façon dont elle semblait cristalliser les attentions de chacun sans même chercher à le faire.

Si ce trait avait quelque chose de parfaitement fascinant aux yeux du commun des mortels, Kolton s’en retrouvait particulièrement dérangé, et plus encore au fur et à mesure que l’Echani approchait. Lui qui n’avait jamais fréquenté que les ombres avait désormais l’impression qu’on lui braquait un projecteur en pleine tête. La gêne n’était peut-être pas aussi forte que la comparaison le laissait croire, mais toujours est-il que la présence de Mazekeen avait quelque chose d’irritant. Pas plus hostile qu’à l’accoutumée, Kolton plongea un regard parfaitement neutre dans les yeux de son interlocutrice, accueillant l’annonce de sa démarche par un hochement de tête froid.

S’assurant de ne pas laisser de temps de battement, il saisit immédiatement la main tendue en veillant à appliquer suffisamment de force pour ne pas sembler mou sans pour autant donner l’impression de vouloir trop en faire. Comme à son habitude, le Chevalier s’assurait de rester dans le plus ambigu des entre-deux.

« Kolton Brahl. »

S’il ne comptait rien ajouter, il réalisa vite qu’une présentation plus précise s’imposait en raison des efforts faits par son interlocutrice.

« Anciennement aux renseignements impériaux. Je me souviens de vous. Vous vous étiez fait remarquer ici même il y a un an. »

Il n’avait initialement pas fait le rapprochement, mais ce patronyme invoquait dans son esprit de nombreuses heures de travail tant Mazekeen lui avait, à l’époque, compliqué la vie. Là où lui avait passé tout le règne de l’usurpateur à détourner l’attention des traîtres et à les envoyer sur de fausse piste, la doublure de l’Impératrice avait immédiatement clamé haut et fort la survie de l’héritière légitime, visiblement peu soucieuse d’attirer une mauvaise attention. Au moins ses élucubrations avaient-elles eu pour avantage de permettre à d’autres loyalistes d’apparaître plus discrets en comparaison. Kolton avait-il seulement le droit de s’étonner d’un aussi flamboyant tempérament de la part d’une ancienne membre des troupes de choc de l’Empire ? N’avait-il pas lui-même été forgé par sa précédente carrière ?

« Ne le prenez pas mal, il faut un certain courage pour oser proclamer encore et toujours sa loyauté sur tous les toits en de tels temps de crise. »

Ou une certaine bêtise, mais Kolton se garda bien de nuancer ainsi son propos. D’abord parce que cela aurait été inutilement agressif, et ensuite parce qu’il n’y avait de toute façon plus grand-chose à tirer de ces évènements si ce n’est ce qu’ils en savaient déjà. Autant changer de sujet et se tourner vers l’avenir. Curieux de comprendre l’intérêt que cette star de l’Empire porte au groupe d’écuyers, Kolton amorce un signe de la tête dans leur direction.

« Alors, satisfaite ? Ils y mettent tous beaucoup de bonne volonté, mais aucun ne semble se démarquer pour l’instant. »

Spokki, déterminée, se tenait parmi les autres écuyers, prête à relever le défi de l'entraînement au sabre. Bien qu'elle ne soit pas dotée d'un talent naturel pour le maniement de cette arme, son désir ardent de progresser l'animait. L'instructeur, un maître expérimenté au regard sévère, dirigeait la séance selon le schéma bien établi : échauffement rigoureux pour préparer le corps et l'esprit, suivi d'une série d'exercices pour perfectionner les techniques, et enfin, les duels pour mettre en pratique ce qui avait été appris.
Deux longues heures s'écoulèrent, pendant lesquelles les écuyers se dépensaient sans compter, repoussant les limites de leur endurance physique et mentale. À mesure que la fatigue s'installait, chaque mouvement devenait plus difficile, chaque échange devenait un défi à surmonter.

Enfin vint le moment tant attendu des duels. Spokki fut appelée à se mesurer à un autre écuyer, son sabre d'entraînement prêt à être brandi. Son cœur battait la chamade, mêlant l'excitation de l'action à une pointe d'appréhension. Ils étaient restreints au style classique du Shii-Cho pour ce premier round, un défi pour ceux qui aspiraient à explorer d'autres formes plus avancées.

Le duel débuta avec une intensité mesurée. Le Shii-Cho, axé sur la défense, nécessitait patience et concentration. Chaque mouvement était calculé, chaque riposte minutieusement planifiée. Spokki se retrouva rapidement plongée dans l'échange, son esprit concentré sur le mouvement de son adversaire, cherchant la faille qui lui permettrait de prendre l'avantage.
Malgré ses efforts, le duel s'éternisa sans qu'aucun des combattants ne prenne clairement l'ascendant. La tension montait, chaque échange étant scruté par les spectateurs silencieux. Finalement, après un échange particulièrement intense, Spokki fut défaite de justesse. Une pointe de déception s'immisça dans son cœur, mais elle refusa de se laisser abattre.
Elle salua respectueusement son adversaire, reconnaissant sa défaite avec dignité. Puis, elle regagna sa place sur le côté du dojo, son regard fixé sur les autres écuyers qui poursuivaient leur entraînement. Malgré sa défaite, une lueur de détermination brillait dans ses yeux, prête à relever tous les défis pour devenir meilleure, un sabre à la fois.

Quelques temps plus tard, Vus'pok'kiasu fut appelée pour un nouveau duel. Cette fois-ci, son adversaire était une jeune humaine, dont l'assurance et le charisme contrastaient avec la réserve naturelle de la Chiss. Spokki ne cachait pas sa préférence pour la discrétion, alors que son opposante brillait au cœur des conversations et des interactions sociales. Le pire, c'est que celle-ci appréciait Spokki, comme beaucoup en réalité, à son grand dam. La jeune femme préférait personnellement rester dans l'ombre, sans attirer l'attention sur elle, mais apparemment, la Force en avait décidé autrement...

Le duel commença de manière prometteuse pour Spokki. Cependant, son assurance commença à vaciller lorsque son adversaire adopta le style Makashi, une forme de combat à laquelle elle n'était pas habituée. Le Makashi était connu pour sa précision et sa sophistication, des aspects qui dépassaient largement les techniques de base du Shii-Cho que Spokki maîtrisait.
Dans un effort désespéré pour inverser la situation, Spokki tenta de passer au style reverse Shien, une technique qu'elle maîtrisait, affectionnait et qui était très efficace contre le Makashi . Mais son geste fut rapidement interrompu par l'instructeur, qui lui ordonna de revenir à sa position de garde habituelle. Sachant qu'elle ne pouvait pas rivaliser avec son adversaire dans ces conditions, Spokki prit une décision risquée.
Faisant appel à la Force, elle projeta un voile de cécité sur son adversaire, obscurcissant temporairement sa vision. Profitant de cette opportunité, Spokki parvint à placer une série de coups précis et remporta finalement le duel. Cependant, sa victoire ne fut pas sans conséquence. L'instructeur, consterné par l'utilisation de la Force dans un combat au sabre, lui adressa un sévère avertissement.

Malgré les reproches, Spokki demeura convaincue de la pertinence de ses actions. Certes, elle n'était pas une élève classique, mais sa formation à l'Intelligence avait laissé des traces. Pour elle, chaque épreuve était une opportunité de prouver sa valeur et de perfectionner ses compétences, que ce soit avec un sabre ou avec les pouvoirs de la Force. Son engagement envers l'Empire restait inébranlable, et elle était prête à repousser toutes les limites pour servir sa cause. Hochant la tête vers l'instructeur et saluant son adversaire, elle revint vers sa place sans un mot, souhaitant que les gens arrêtent de la regarder. Par chance, l'entraînement s'acheva avec son dernier combat.

Dans le coin de son œil, Mazekeen vit une poignée d'informations s'afficher au moment où son regard se posa sur l'humain. Des données que la Chevalière Impériale n'aurait jamais eues si Kolton était resté un agent des Renseignements. Nom, âge, groupe sanguin et quelques autres détails présents dans le dossier que l'Ordre gardait sur chacun de ses membres. D'un geste de pensée, l'Echani désactiva l'affichage de sa prothèse oculaire, elle n'en avait pas besoin.

Ce n'était pas le côté chaleureux de Kolton qui allait éblouir Mazekeen. Celle-ci réprima un tic nerveux en serrant la main de ce dernier. Une poignée de main ferme comme elle en avait reçu de nombreuses au cours de sa vie. Même au sein de la Force, le chevalier impérial était lisse. C'était déroutant pour l'Echani qui avait la faculté rare de lire aisément ses pairs ou toute personne qu'elle rencontrait. Mais, comme à son habitude, elle vit dans cette différence un défi à relever.

La mention du coup d'État, un an plus tôt, fit naître un sourire légèrement crispé sur les lèvres de la guerrière. Ce dernier n'atteignit pas ses yeux et n'était que de circonstance. Il n'allait pas duper l'agent des renseignements mais cela lui donna le temps de rebondir. « Ah ça, je n'en doute pas. » répondit-elle en récupérant sa main.

Il était vrai que l'Echani n'avait pas fait preuve de discrétion lors du court règne de l'Usurpateur. Bien au contraire. Il s'agissait sans nul doute de l'unique fois où Mazekeen avait complètement perdu son sang-froid, son Lien avec l'Impératrice lui faisant littéralement perdre la tête. La souffrance d'Aerys, intouchable et introuvable, avait marqué sa doublure au fer rouge, sans parler de son impuissance à aider la véritable héritière du trône. Mais peu de gens savaient que les deux femmes partageaient un Lien de Force aussi puissant. Et par conséquent, rares étaient ceux capables de comprendre ce que la jeune femme avait traversé à l'époque.

« Au moins ai-je cristallisé la méfiance de l'Usurpateur et ses fidèles autour de moi, laissant ainsi le champ plus libre à des chevaliers comme vous. » reprit-elle en écho aux pensées de l'ancien agent.

Cela n'avait pas été son objectif premier mais avec le recul, Mazekeen devait reconnaître qu'elle avait attiré l'attention loin de ses collègues loyalistes. Du moins, jusqu'à ce que l'Usurpateur lui envoie son plus fidèle serviteur dans le but de l'éliminer. Ce qui avait failli arriver, la perte de ce duel marquée par un événement particulièrement douloureux.

Par la suite, Maze détourna le regard à la mention des Écuyers, accueillant ce changement de sujet avec soulagement. Ses prunelles se portèrent vers le tatami où un dernier duel se jouait. La jeune femme reconnut immédiatement le Makashi utilisé par l'un des deux combattants puis la tentative de Shien de son adversaire, une Chiss dont l'aura trahissait, à cet instant, le besoin urgent de trouver une solution.

« Pourquoi est-il permis à ce jeune homme d'utiliser le Makashi si cette demoiselle ne peut pas s'adapter en changeant de style à son tour ? » se demanda-t-elle à voix haute, la question n'attendait pas vraiment de réponse. Après tout, Kolton n'était pas en charge de cet entraînement.

Face au Makashi tant affectionné par Mazekeen, la jeune Chiss était en mauvaise posture. Il ne lui était pas permis de continuer avec le Shien, alors qu'allait-elle faire ?

« Pas satisfaite, ils font trop d'erreurs évidentes, mais leur volonté de faire mieux est toute à leur honneur. » répondit finalement l'Echani à la question initialement posée par Kolton.

Maze était naturellement quelqu'un d'extrêmement exigeant et plus encore dans tout ce qui avait trait à l'art du combat. Car il s'agissait bien d'un Art pour l'Echani, l'un de ceux dans lequel les membres de sa culture excellaient et dont elle était une fière représentante. Se battre, surtout à l'arme blanche, était un langage à part entière. Tandis que se déroulait le duel, ses yeux passaient de l'un à l'autre des combattants comme si elle était en train de déchiffrer une partition.

L'utilisation de la Force étant proscrite pendant cet entraînement, la remontrance ne se fit guère attendre pour la jeune Chiss malgré sa victoire sur le fil. Maze n'approuvait pas cette décision de l'instructeur. Si ce dernier avait voulu un combat fair-play, il aurait été avant tout nécessaire de forcer les deux adversaires à utiliser la même forme, ou à permettre à Vus'pok'kiasu - Maze avait été curieuse de connaître son nom grâce à son implant neural - de poursuivre avec le Shien.

La salle commença à se vider suite à ce dernier duel. Pour sa part, l'Echani ne bougea pas. Elle avait posé son regard argenté sur la jeune femme et laissait la Force glisser en direction de cette dernière. Il y avait quelque chose de familier à propos d'elle et que Mazekeen reconnut au bout de quelques secondes, un air surpris puis intrigué se peignant brièvement sur son visage.

« La connaissez-vous ? »

La question était soudaine, mais le léger mouvement du menton en direction de la Chiss ne laissait pas de doute quant à la personne dont Mazekeen parlait. Coulant un regard en direction de l'ancien agent, l'Echani joignit de nouveau ses mains dans son dos et s'approcha de l'Écuyère d'un pas souple.

« S'adapter en permanence est l'une des clés de la survie », dit-elle en arrivant à la hauteur de la Chiss qu'elle surplombait d'au moins vingt bons centimètres. Maze jeta un coup d'œil derrière elle afin de s’assurer que l'instructeur avait également quitté les lieux, puis reprit. « C’était une bonne utilisation de vos pouvoirs. »

Il émanait de la jeune femme un désir de ne pas attirer l'attention qui n'était pas sans rappeler Kolton. C'était subtil et légèrement différent des Chiss que l'empathe avait eu l'occasion de croiser dans sa vie. Les membres de cette espèce n'étaient pas non plus connus pour leur caractère flamboyant ni leur avenance, bien au contraire. Pourtant, Maze se sentait attirée, un peu malgré elle, par l'Écuyère.

« Maître Mazekeen Farron. Enchantée. », se présenta l'Echani en offrant une poignée de main exactement comme elle l'avait fait pour Kolton.

Les premiers échanges faits, Kolton vit son regard attiré par le duel qui concentrait actuellement l’attention de ses confrères. Comme Mazekeen, il fut surpris de la réprimande essuyée par la jeune Chiss. Il serait bon pour son instructeur de se décider sur la possibilité ou non de faire appel à des formes avancées, car il mettait la demoiselle en flagrant désavantage, et ce sans que Kolton ne puisse décerner de réelle motivation derrière un exercice aussi ardu. Forcée de conserver une posture simpliste, la Chiss se retrouva naturellement débordée face à un style né pour dominer celui auquel elle était restreinte. Pourtant, et en dépit de la situation dans laquelle elle était mise, chacun constatait bien à quel point Vus’pok’kiasu se démènait et s’acharnait. Si sa combativité était saluée par tous dans l’assemblée, c’était la bien la façon dont elle l’exprimait qui divisait les Chevaliers l’observant.

Plusieurs expressions d’indignation naquirent autour de Kolton et de Maze alors que l’écuyère faisait appel à la Force pour se subtiliser à la vision du bretteur adverse et enclencher un enchaînement qui aurait raison de ses défenses. Si personne dans le groupe d’observateur ne contesta directement l’avertissement adressé par l’instructeur, beaucoup l’accueillirent avec scepticisme et en débattirent avec leurs voisins. Kolton, lui, aurait salué l’initiative si cette dernière n’avait pas eu pour probable conséquence de fracturer l’image de Spokki auprès de sa promotion et de son professeur.

Désireux de ne pas se faire remarquer, Kolton lutta contre les instincts qui l’incitaient à s’approcher de la Chiss, et attendit que Mazekeen, visiblement intéressée, fasse le premier pas. Celle-ci restait pour autant étrangement immobile, comme si son attention plus que son simple regard était happé par l’écuyère. Ne percevant a priori aucun détail d’un ordre purement physique, Kolton se plongea dans la Force elle-même, remarquant avec une certaine gêne à quel point l’imposante présence qu’il avait perçu chez le Maître Chevalier commençait déjà à s’accrocher à lui. Il reporta vite son attention sur la jeune Chiss et fut surpris de reconnaître en elle une aura similaire, mais plus ténue, comme si elle avait été volontairement écrasée au prix de durs efforts. Quelle étrange coïncidence pour Kolton que de se retrouver face à deux de ces curieux spécimens après une vie à ne pas en avoir croisé un seul.

La question de l’Echani le ramena brutalement à la réalité, alors qu’il remarquait seulement à quel point il en avait été momentanément déconnecté. Il la laissa patienter un bref moment, réfléchissant à la façon dont il devrait angler sa réponse.

“Pas encore.”

Autant se positionner dès maintenant sur une potentielle écuyère. Il ne savait pour l’heure pas grand-chose de celle-ci, mais il appréciait le peu qu’il avait pu voir. Rares étaient les Chevaliers qui savaient exprimer leur loyauté et leur compétence par d’autres biais que celui d’une bravade exacerbée. Encore restait-il à savoir s’il s’agissait là d’un coup de chance ou du reflet d’une philosophie plus développée du combat.

Marchant dans les pas de sa supérieure, Kolton se rapproche de Spokki. Son regard toujours froid comme la glace rivé sur celui de la jeune Chiss, il laissa Mazekeen engager la conversation, notant ses observations dans un coin de sa tête, puis attendit patiemment que l’écuyère ait fini de serrer la main de sa consoeur pour tendre la sienne.

“Kolton Brahl. Ne tardez pas à vous rabibocher avec vos camarades. Je salue aussi cette prouesse, mais les autres écuyers pourraient vous en vouloir. Il est plus important de bien vous entendre avec vos semblables que d’enchaîner les victoires à l’entraînement.”

Quand bien même il aurait raison, Kolton craignait tout de même que l’attention portée par deux Chevaliers accomplis n’encourage la Chiss sur la voie de l’égo au détriment de celle de la coopération, mais peut-être s’agirait-il pour elle d’un nouveau test de sagesse. Après tout, si son humilité survivait à une rencontre avec la star de l’Ordre, alors sans doute parviendrait-elle à réintégrer sans encombre les rangs des écuyers.

“Beaucoup se seraient contentés d’une poussée de Force. Pourquoi avoir utilisé une technique aussi élaborée et spécifique ? C’était un sacré risque en plein combat, surtout quand on sait que les utilisateurs de la Force peuvent se passer d’une vision classique.”

Alors qu'elle rangeait méthodiquement ses affaires, prenant délibérément son temps pour laisser les autres partir avant elle, Spokki ressentait sur elle les regards des personnes encore présentes dans le dojo. Peu surprise, elle n'y prêta pas attention et se plongea dans une réflexion approfondie sur son dernier duel. Elle analysa chaque mouvement, chaque décision, cherchant les points à améliorer et ceux à retirer de sa stratégie.

Un pressentiment la fit lever la tête, et elle aperçut deux silhouettes qui s'approchaient d'elle. La première, imposante, l'écrasait de sa présence, tandis que la seconde, plus discrète, éveillait néanmoins sa curiosité. Elle ne l'aurait probablement pas remarquée si elle n'était pas venue à elle. Voyant qu'ils se dirigeaient clairement vers elle, la jeune femme se mit au garde-à-vous. Bien qu'elle ne connaisse pas leur identité, l'armure rouge était un indicateur évident de leur titre de Chevalier, et par conséquent, de leur supériorité hiérarchique.

Hochant la tête en silence en réponse aux paroles de l'Echani, Spokki se sentit soulagée de constater que ses actions étaient bien perçues, notamment par des Chevaliers. Elle se raidit davantage en voyant la main tendue vers elle et en entendant le titre et le nom de son interlocutrice. Elle reconnaissait ce nom, il s'agissait d'une figure éminente de l'Ordre. Se ressaisissant rapidement, elle serra la main de l'Echani.

"Spokki, écuyère, tout l'honneur est pour moi, Maître Farron."

Puis, elle se tourna vers le Chevalier Kolton et lui serra la main.

"Sir Kolton."

Elle savait que Kolton avait raison à propos des autres écuyers. Sa froideur n'était pas toujours un avantage pour tisser des liens, mais malgré tout, elle s'intégrait bien parmi eux. Elle compensait son manque de tact social par des conseils et des aides discrètes.

"Je leur laisse un peu de temps avant d'aller voir si tout va bien. Ils me connaissent assez, et je suis confiante qu'ils savent que je n'ai pas agi uniquement pour la victoire. Merci pour les conseils sir."

Lorsque Kolton l'interrogea sur son utilisation du pouvoir de cécité, Spokki sut immédiatement quoi répondre.

"Mon adversaire et moi sommes toutes deux d'anciennes gymnastes. Je savais donc qu'elle récupérerait rapidement après une poussée de Force, du moins une poussée d'entraînement. En termes d'escrime, elle est meilleure que moi. Cependant, je sais qu'elle a encore du mal à gérer son environnement sans sa vision en situation de crise. C'est pourquoi mon analyse m'a indiqué que la rendre temporairement aveugle était l'une des stratégies les plus efficaces et les moins susceptibles de lui causer des blessures."

Très rapidement la jeune écuyère ajouta pour elle même.

"Je vais lui demander de m'aider pour la pratique de l'escrime, de mon côté je l'aiderai à mieux percevoir au travers de la Force."